L’Église n’est pas une business (n’en déplaise au frère Untel)

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Le frère Untel frappe encore, cette fois-ci avec une critique du concept de la paroisse géographique. Organisation singulièrement catholique, ce découpage géographique est la manière de l’Église d’être implantée dans le monde, dans chaque quartier, chaque village. La paroisse prend la couleur des baptisés et des pasteurs qui la composent. Dans ce billet, je propose de regarder la critique du frère Untel et de répondre à ses arguments.

Selon le frère Untel, aucun commerce ne refuserait de servir un client qui n’est pas sur son territoire.

Un découpage «arriéré»?

Le frère Untel reproche au système paroissial d’être arriéré et typiquement catholique, pour ensuite comparer cette dernière à une entreprise commerciale… Serait-ce justement parce que l’Église catholique ne se voit pas elle-même comme une business qu’elle soit la seule à organiser son implantation de cette manière? N’en déplaise au frère Untel, l’Église n’est pas un commerce. Le prêtre n’est pas un animateur de zumba. Le baptisé n’est pas un client à qui on doit «donner du service». L’Église est plutôt le rassemblement des personnes qui se mettent à la suite du Christ Vivant. On dit d’elle qu’elle est le Corps mystique du Christ, qui en est la tête. On dit cela précisément parce qu’elle est incarnée, c’est-à-dire qu’elle existe en lieu donné et qu’on peut la toucher et entrer en relation avec elle. C’est Jésus lui-même qui l’a dit: «Là où deux ou trois s’assemblent en mon nom, je suis au milieu d’eux» (Mt 18, 20).

Pour quelles raisons une personne voudrait-elle fréquenter une église différente de celle qui est près de chez elle? Le frère Untel propose deux analogies parfaitement boiteuses pour les expliquer.

L’analogie du gym

«Vous préférez nos machines ici et vous aimez l’entraîneur de zumba?C’est cool. C’est quoi votre adresse? Oh! Désolé, il y a un Énergie Cardio plus proche de chez vous. C’est absurde! Il y a des raisons pour lesquelles les clients demandent un service à un endroit et pas à un autre!»

Frère Untel

Dans cette analogie, nous comprenons que «les machines» représentent les équipements d’une église : son architecture, ses sculptures, ses salles de toilette propres et modernes, etc. Certaines personnes choisissent effectivement une église à cause de son apparence extérieure. Je pense à une connaissance qui a habité toute sa vie à Sainte-Julie, qui s’est ensuite établi à Chambly, mais qui est allée se marier à Beloeil parce que l’église est magnifique et située sur le bord de la Richelieu. Après s’y être mariée, elle n’y a plus jamais remis les pieds… Comme peuple de Dieu, on ne peut accepter d’être utilisés ainsi. Dans le monde, les gens regardent les apparences, l’aspect extérieur des choses (et des personnes!). Mais Jésus, le Verbe incarné, nous apprend à voir les choses différemment: le coeur de l’autre, avec notre coeur. Ainsi, une église humble, aux statues fabriquées par un artisan moins talentueux, pourra très bien faire l’affaire de celui qui saura y voir le coeur de gens pauvres mais remplis d’amour pour le Seigneur qui vivent dans son quartier. Ce sera un début de communion.

J’imagine aussi qu’en faisant allusion à l’entraîneur de zumba, le frère Untel veut parler du prêtre, qui serait «meilleur» dans l’autre paroisse. Là encore, cette attitude démontre une mauvaise compréhension du sacerdoce et de la fraternité chrétienne. En effet, ne serait-il pas préférable d’enseigner aux baptisés à suivre le commandement de Jésus : «Aimez-vous les uns les autres» (Jn 15, 17) ? Dans le monde, on rejette ceux qu’on n’aime pas. Mais pas dans l’Église. L’Église, c’est l’Assemblée de ceux qui cherchent à devenir saints. Quel mérite avons-nous à aimer les gens charismatiques, qui s’expriment bien et qui sont parfaits? Cherchons donc plutôt à aimer le prêtre qui nous a été donné par Dieu ; respectons-le dans le sacrifice qu’il a fait de sa vie, prions pour lui, invitons-le à manger, veillons à ce qu’il ne manque de rien! Et si c’était nous qui commencions à prendre soin de nos prêtres au lieu d’exiger qu’ils prennent (mieux) soin de nous? Notre prêtre n’est peut-être pas parfait, mais qui l’est en ce monde? Il n’est peut-être pas parfait, mais il est notre prêtre. Ne pas fréquenter notre communauté parce qu’on n’aime pas quelqu’un ou que quelqu’un ne nous aime pas, c’est contraire aux commandements de Jésus. Même quand on se sent persécuté par un membre de notre communauté, le Christ nous apprend à ne pas fuir devant le malin, mais à nous tenir debout en ayant confiance en Celui qui l’a vaincu et qui le vaincra encore. «Aimez-vous ennemis et priez pour ceux qui persécutent» (Mt 6, 43). Quel mérite avons-nous à partir quand ça devient difficile d’aimer et d’être aimé?

L’analogie du Tim Horton’s

«Vous voulez un café et un beigne? C’est quoi votre adresse? Ah! Désolé, il y a un Tim Horton’s plus proche de chez vous, allez là-bas.»

Frère Untel

Si son analogie est boiteuse, elle peut toujours servir à exprimer mon point de vue: il s’agit du même café et des mêmes beignes dans tous les Tim Horton’s! Si une personne affamée a vraiment envie de ce que le restaurant a à offrir, pourquoi irait-elle à l’autre bout de la ville pour en avoir alors qu’elle en aurait pour le même prix, tout près de chez elle? Ce que l’Église a à offrir, c’est le Christ! Le Christ est le même aujourd’hui qu’il le sera demain et qu’il le fût hier. Ce sont les mêmes sacrements, la même Eucharistie, le même pardon, le même mariage. Y aurait-il une raison valable pour chercher ailleurs ce qui est disponible chez soi?


La logique de Dieu est l’inverse de celle du monde et la vie chrétienne consiste à faire don de soi-même ; pas de consommer les autres et les sacrements. Les baptisés ne sont pas des clients qui exigent un service. Les baptisés sont des disciples qui ont plongé dans la mort du Christ pour vivre de sa Résurrection. Ils donnent leur vie aux autres, là où ils sont. Ils préfèrent donner que de recevoir. Ils se donnent. Contrairement à la pensée ambiante, ils pensent d’abord aux autres avant de penser à eux-mêmes. Si on cessait de voir l’Église comme un guichet distributeur de sacrements, on parviendrait peut-être à ce renouvellement que nous souhaitons tous.

La nouvelle évangélisation et le marketing

La nouvelle évangélisation ne consiste pas en une campagne de marketing. Tandis que le marketing consiste à faire acheter un produit ou un service, voire à «vendre un réfrigérateur à un Inuit», la nouvelle évangélisation se définit comme un témoignage portant sur la mort et la résurrection du Christ. C’est la parole d’un affamé qui dit à un autre affamé où il a trouvé du pain pour soulager sa faim. Ce Pain, c’est le meilleur, et il est à volonté!

Il ne faut pas confondre «évangélisation» et «catéchèse». Après avoir entendu la Bonne Nouvelle (du grec euaggelion) à l’effet qu’il existait une eau qui devient «source d’eau jaillissant en vie éternelle», la Samaritaine s’exclame: «Seigneur, donne-moi de cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser» (cf. Jn 4, 14-15). C’est à ce moment que doit commencer la catéchèse. Pas avant. Pour reprendre l’analogie du frère Untel, la catéchèse correspondrait à un cours d’utilisation d’un produit dont on a fait l’achat. Le service après-achat, quoi! (et non pas «après vente»…).

Changer notre vision de l’Institution

Le problème n’est pas le système paroissial d’organisation territoriale comme le soumet le frère Untel. Le problème se situe plutôt dans le regard de ceux qui voient l’Église comme une entreprise qui doit vendre une idée à des clients potentiels afin d’assurer sa survie et sa croissance. L’Église est l’assemblée des disciples du Christ, c’est-à-dire de ceux et celles qui l’ont rencontré et qui se mettent à le suivre. Il revient à chacun d’entre nous d’annoncer, là où nous nous trouvons, la Bonne Nouvelle de notre victoire sur la honte, la souffrance et la mort par celle du Christ . «Elle est sûre cette parole: si nous sommes morts avec Lui, avec Lui nous vivrons» (2 Tim 2, 11). Je suis d’accord avec le frère Untel à l’effet qu’il nous faille mieux accompagner ceux et celles qui disent «Oui!» à Jésus Christ. Aucune loi de l’Église n’empêche qui que ce soit de fréquenter la paroisse qu’il désire. Mais ce sera à chaque membre de chaque paroisse d’enseigner, par son exemple et par ses mots, le véritable sens de l’Église. Nous devons saisir à nouveau le sens du commandement de Jésus: «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples!» (Mt 28,19). Une fois le disciple formé dans une paroisse voisine, il devra être renvoyé chez lui pour annoncer, à son tour, la Bonne Nouvelle du salut. Voilà comment l’Église primitive s’est propagée, allant jusqu’à convertir un empire! Oserons-nous croire que cette méthode fonctionnera 2000 ans plus tard?

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