L’Exercice de la primauté du pape et le rôle du collège des évêques dans la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire

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L’Exercice de la primauté du pape et le rôle du collège des évêques dans la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire

L’ordination des femmes et des hommes mariés, la contraception et l’aide médicale à mourir sont des questions importantes sur lesquelles l’Église devra prendre position au cours des prochaines années. Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, le pape François affirme qu’il n’est pas opportun que le pape s’exprime sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde. En ce sens, il souhaite progresser vers une « décentralisation salutaire »[1] , pourtant souhaitée par son prédécesseur saint Jean-Paul II[2], afin que l’Église réponde mieux « aux nécessités actuelles de l’évangélisation »[3].  Croyant que les conférences épiscopales peuvent contribuer « de façons multiples et fécondes » au sentiment de collégialité des évêques[4], le pape soumet que le statut de ces dernières a besoin d’être davantage explicité afin qu’elles exercent toute l’autorité, y compris « une certaine autorité doctrinale »[5], pour faciliter la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire[6]. Nous explorerons quelques propositions émises par Mgr John Quinn dans un discours prononcé en 1996 dans le cadre du centenaire du pavillon Campion de l’université Oxford ; et par Bernard Sesboüé, s.j., dans son livre intitulé « Le magistère à l’épreuve », paru aux éditions Desclée de Brouwer en 2001. Les courageux intervenants dans ce dialogue proposé par le souverain pontife avancent deux manières d’apporter ces changements demandés par le pontife : d’une part, dans le ton et la manière de faire de la curie romaine et du pape ; et d’autre part des réformes profondes et urgentes à compléter qui donneraient un souffle nouveau à l’Église qui entre dans le troisième millénaire. Le vœu, émis de manière de plus en plus pressante par les papes du XXe siècle, de réaliser l’unité des chrétiens ne s’achèvera qu’avec une révision complète du rôle du pape et une collégialité épiscopale plus réelle et plus visible[7]. Plus nos frères chrétiens seront témoins de la concertation institutionnelle entre l’évêque de Rome et les autres évêques sur les grands enjeux de la vie de l’Église, plus ils regarderont avec espérance et même avec désir vers le pôle romain de la communion de toute l’Église.[8]

Le rôle des évêques dans l’Église universelle

La constitution doctrinale Lumen Gentium enseigne et déclare que Jésus-Christ, après avoir longuement prié son Père, a nommé les Apôtres pour qu’ils prêchent le Royaume de Dieu. Il donna à l’institution des Apôtres la forme d’un collège, c’est-à-dire d’un groupe stable, et mit à leur tête Pierre, choisi parmi eux. Il les envoya parmi toutes les nations pour que, participant à son pouvoir, ils fassent de tous les peuples des disciples, pour qu’ils les sanctifient et les gouvernent (cf. Mt 28, 16-20; Mc 16, 15; Lc 24, 45-48; Jn 20, 21-23), propageant ainsi l’Église et remplissant à son égard, sous la conduite du Seigneur, le service pastoral tous les jours jusqu’à la consommation des siècles.[9] Afin que l’Église dure toujours, les Apôtres prirent soin, dans cette société hiérarchiquement ordonnée, des successeurs qui doivent achever leur tâche et affermir l’œuvre commencée par eux[10] C’est en tout premier lieu par le service éminent des évêques que le Christ, Pontife suprême, prêche la Parole de Dieu à toutes les nations.[11] La consécration épiscopale, plénitude du sacrement de l’Ordre, en même temps que la charge de sanctification, confère aussi les charges d’enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres. Il revient aux évêques d’introduire, par le sacrement de l’Ordre, de nouveaux élus dans le corps épiscopal.[12]

Depuis la Pentecôte jusqu’à ce jour, les évêques de partout à travers le monde ont vécu en communion entre eux et avec l’évêque de Rome par un lien d’unité, de charité et de paix. Ils se réunissaient en conciles et décidaient en commun de toutes les questions les plus importantes. Cela démontre la nature collégiale de l’ordre épiscopal.[13] Ce collège exprime, par son rassemblement sous un seul chef, l’unité du troupeau du Christ.[14]

Les tâches spécifiques du pape, évêque de Rome

En plus de ses ministères épiscopaux communs à l’ensemble des évêques, le pontife romain, comme successeur de Pierre, est le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles. Seul l’évêque de Rome peut convoquer les conciles ou déclarer que les évêques affirment une doctrine de manière collégiale même s’ils sont éparpillés aux quatre coins du monde[15].

Redonner aux évêques leurs pleins pouvoirs

Les évêques nomment d’autres évêques pour leur succéder en communion avec lui; du moins, rien ne stipule que toutes les nominations épiscopales doivent être faites par l’évêque de Rome.[16] De fait, plusieurs tâches exercées aujourd’hui par le pape ont été remises entre ses mains de par des contingences historiques et ces dernières pourraient assez facilement être retournées à des évêques plus près des Églises concernées. Par exemple, jusqu’au premier schisme de 1054, le gouvernement de l’Église était d’abord confié aux patriarches, qui exerçaient une primauté régionale, et c’est en tant que patriarche de l’occident que le pape gouvernait l’Europe ; et ce, sans s’ingérer dans le gouvernement des autres patriarcats, sauf en cas de divergence entre ces derniers au sujet de la foi ou de la discipline[17].  On peut aussi penser à la désignation des évêques, qui revenait aux Églises locales jusqu’en 1929, sauf en de rares occasions où Rome dût intervenir. La situation actuelle où c’est la curie romaine qui suggère au pape des candidats à l’épiscopat trouve son fondement historique dans le chaos créé en Europe par la Révolution française et la chute de Napoléon, et aussi par le retrait du gouvernement italien du processus de désignation des évêques en Italie, à l’époque de l’unification.[18]

Par défaut d’un autre agent responsable, Rome se retrouvait soudainement aux prises avec le besoin de fournir des évêques à des centaines de diocèses. Mais la seule raison politique devenue nécessaire à un moment donné en raison de circonstances historiques ne signifie pas que l’on continue cette politique à toutes les époques à venir. Ce n’est évidemment pas là une pratique requise par la nature de la primauté : elle s’est développée en raison de circonstances historiques.[19]

La décentralisation effective du gouvernement ecclésial par la démultiplication du patriarcat romain en plusieurs autres, notamment en ce qui concerne les Amériques, et la mise en place de conférences épiscopales continentales contribuerait à satisfaire le besoin d’autonomie de nombreuses Églises chrétiennes séparées, elles qui ne demandent qu’à être entendues avant de rentrer au bercail. Selon la volonté du Christ, nous serions alors un comme le Père et le Fils sont un et ainsi le monde reconnaîtra que Dieu a envoyé son Fils et qu’Il les a aimés comme Il a aimé le Fils (cf. Jn 17, 22).  Il n’y a pas de collégialité dans son sens plein, si les évêques sont simplement des récepteurs passifs des directives et des initiatives papales. Les évêques ne sont pas que sub Petro : ils sont aussi cum Petro.[20] Plus le pape s’exprimera et agira en communion avec ses frères évêques, plus serrée sera l’unité de l’Église.

Réformer le rôle de la curie romaine

S’appuyant sur Yves Congar[21], célèbre théologien du XXe siècle, Mgr Quinn affirme qu’une réforme des attitudes n’est pas suffisante, puisque « la sainteté personnelle en elle-même ne suffit pas à apporter quelque changement et [qu’]une grande sainteté a pu exister au sein même de situations qui avaient terriblement besoin de changements »[22]. Il faut figer le style dynamique du pape François dans les constitutions de la curie afin qu’il lui survive et qu’il l’en imprègne. Il est évident que le pape a besoin de la curie pour demeurer en communion avec plus de 3000 évêques qui parlent des dizaines de langues différentes. Si ce n’est pas l’existence même de la curie qui soit ici remise en cause, c’est plutôt le fait que la curie ait, plus souvent qu’il ne le faut, tendance à s’insérer entre le pape et les évêques, si bien qu’elle soit arrivée à un point où elle dirige les évêques comme un palier supérieur plutôt que comme un instrument de service à la disposition du collège des évêques. Mgr Quinn n’y va pas de main morte en affirmant que certains membres de la curie « sont très étroits [d’esprit] et jouissent d’une expérience limitée, surtout l’expérience pastorale »[23]. Que le rôle des évêques, contrairement à la foi de l’Église, consiste dans les faits uniquement à approuver des documents initiés unilatéralement par le pape et la curie, cela mine grandement l’autorité du Collège des Évêques.

Le processus de nomination des évêques, l’approbation du catéchisme de l’Église catholique, l’ordination de prêtres mariés et le rôle des femmes dans l’Église sont toutes des épineuses questions qui méritent d’être abordées par le Collège des Évêques; elles ne devraient pas être tranchées par le pape et la curie, au risque évident de porter sérieusement atteinte à l’unité chrétienne. Reprenant les mots du regretté cardinal Congar, Bernard Sesboüé va même jusqu’à dire que beaucoup d’orthodoxes et d’autres chrétiens hésitent à entrer en pleine communion avec l’Église précisément à cause de l’ingérence de la curie.[24]

Certes, le pape exerce une primauté sur le Collège, et cela ne devrait pas l’empêcher de pouvoir parler en son propre nom en certains moments. Mais définir davantage la notion de la primauté du pontife romain en approfondissant la réflexion sur la distinction entre les aspects doctrinaux de sa primauté et la place qui revient à la prudence dans l’exercice de cette primauté contribuerait grandement à soutenir la liberté de parole de l’évêque de Rome tout en préservant de toute erreur l’infaillibilité du Collège des Évêques. Le pape devrait avoir le droit de s’exprimer librement, en son nom personnel, sur tous les sujets qui l’intéressent, car c’est le devoir de tout évêque d’enseigner, de sanctifier et de gouverner son Église. C’est pourquoi il serait plus conforme à cette vérité de foi [que les évêques sont juges et enseignants de la foi], que les évêques soient sérieusement consultés, non seulement de façon individuelle, mais aussi dans les conférences épiscopales[25], sur les questions qui irréformables qui engagent la génération présente de l’Église et celles à venir.

Une commission de réformation

Pour qu’une véritable réforme au lieu, Mgr Quinn propose de créer une commission avec trois présidents : l’un représenterait une conférence épiscopale, un autre la curie et un troisième serait laïc. Cette commission aurait trois ans pour consulter les plus grands experts du monde « en administration, en gouvernement, en théologie, en droit canonique et autres disciplines et professions utiles ». D’autres personnes conseilleraient les présidents : des religieux, des prêtres, des agents de pastorale. À la fin d’un grand processus de consultation (pourquoi pas d’un concile!), une autre commission pourrait superviser l’implantation de cette réforme et faire rapport au pape et au Collège Épiscopal de l’avancement des travaux. Tous ces travaux, les rapports et les conclusions devraient être publics.

De son côté, Bernard Sesboüé suggère qu’une décentralisation de l’administration de l’Église par une  « démultiplication du patriarcat d’occident » et par des regroupements continentaux ne soulèverait aucun problème doctrinal en plus de refléter l’image extraordinaire d’une Église qui ferait la distinction entre l’essence et la forme d’exercice du ministère de communion. L’idée risque de plaire à plusieurs et l’auteur de ces lignes ne désespère pas de voir de son vivant se réaliser une restructuration administrative de  cette nature[26].

Le principe de subsidiarité

« Ce que de simples individus, utilisant leurs propres peuvent faire par eux-mêmes ne doit pas leur être enlevé pour le donner à la communauté. (…) Cela est vrai, parce que toute activité sociale est, de par sa nature, subsidiaire; elle devrait servir de soutien pour les membres du corps social et ne jamais les détruire ni les absorber », disait le pape Pie XI[27]. La subsidiarité est donc le contraire de la centralisation. Mgr Quinn déclare dans son discours : « Un grand nombre des procédures et des politiques existantes impliquées dans « la manière d’exercer la primauté », de même que de celles de la curie, ont besoin de subir une révision majeure et totale ». Il persiste et signe : « celle-ci devrait reconnaître l’autorité véritable conférée aux évêques par le Christ et proclamée par le premier et le second concile du Vatican et par les papes qui les ont présidés. De larges segments de l’Église catholique, de même que de nombreux orthodoxes et autres chrétiens ne croient pas que la collégialité et la subsidiarité soient pratiquées dans l’Église catholique à un degré suffisamment important. » Pour lui, le principe de subsidiarité n’est pas une réponse à une contingence contemporaine ; on l’applique parce que c’est ce que nous dicte notre foi.

En citant un document de la Congrégation pour la doctrine de la foi[28], Bernard Sesboüé rappelle quant à lui qu’il existe une complémentarité entre primauté du pape, collégialité des évêques et sensus fidelium : « Écouter la voix des Églises est en effet un signe distinctif du ministère d’unité, une conséquence aussi de l’unité du corps épiscopal et du sensus fidélium de tout le peuple de Dieu.[29] » Plusieurs responsabilités, donc, qui sont présentement exercées par le pape ne constituent pas l’essence même de la fonction et pourraient très bien être assumées par un palier de gouvernement plus près des Églises locales. À notre avis, cela contribuerait grandement à satisfaire le besoin d’autonomie d’Églises séparées de l’Église catholique en raison de la trop grande autorité que possède, à leur avis, le primat de Rome.

Réaménager le rôle du pape pour réaliser l’unité des chrétiens

« Nous ne pouvons tenir l’unité en otage jusqu’à ce que nous ayons un pape parfait dans une Église parfaite »[30]

Le pape joue un rôle d’une importance capitale pour le bien-être et la survie de l’Église. Mais il serait stupide d’idéaliser un le pape comme un homme parfait, divin, qui serait exempt de faiblesses et de défauts humains. À la suite de l’Apôtre Pierre, il est le chef des évêques et grand berger au nom du Christ. Et à la suite de Pierre l’humain, le pécheur, il n’est pas parfait et il a besoin de ses frères et sœurs pour se sanctifier. Pour réaliser l’unité des chrétiens voulue par le Christ, il ferait mieux de s’appuyer sur l’infaillibilité du Collège des Évêques, qui n’a jamais fait défaut de donner conseil à l’évêque de Rome au cours des vingt derniers siècles. La simple adhésion des personnes en place aux proclamations dogmatiques de l’Église sur le Collège des Évêques, conjuguée à un juste, mais prudent exercice de la primauté du pape, suffirait, déjà grandement, à mon avis, pour améliorer l’ambiance qui règne dans les relations entre les évêques et la curie romaine.

[1] FRANÇOIS 1er, Evangelii Gaudium, no. 16

[2] SAINT JEAN-PAUL II, Ut unum sint, nos 977-978

[3] FRANÇOIS 1er, op.cit., no. 32

[4] CONCILE VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, §23

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] SESBOÜÉ, Bernard, Le magistère à l’épreuve, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 284

[8] Ibid., p. 284

[9] CONCILE VATICAN II, op. cit.,  §19

[10] Ibid., §20

[11] Ibid, §21

[12] Ibid, §21

[13] Ibid., §22

[14] Ibid., §22

[15] Ibid., §22

[16] Ibid., §25

[17] SESBOÜÉ, Bernard, op. cit., p. 282

[18] QUINN, Mgr John R., Discours à l’occasion du centenaire de Campion Hall, Oxford, 1996, p. 16

[19] Ibid., p. 16

[20] Ibid.

[21] Cf. CONGAR, Yves, Vraie et fausse réforme dans l’Église, Éditions du Cerf, Paris, 1950, c. 2

[22] QUINN, Mgr John R., op. cit., p.5

[23] Ibid., p.8

[24] Cf. CONGAR, S.E. Yves, Église et papauté, Les Éditions du Cerf, Paris, 1994, c. II, n. 3, p. 59-64 cité dans SESBOÜÉ, Bernard, op. cit., p. 284-285

[25] QUINN, Mgr John R., op. cit., p.12

[27] PIE XI, Quadragesimo Anno, 15 mai 1931

[28] CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, La primauté du successeur de Pierre dans le mystère de l’Église, Vatican, 1998

[29] Ibid.

[30] QUINN, Mgr John R., op. cit., p.19

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