Les principes de la laïcité et le port des signes religieux ostentatoires

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Certains Québécois considèrent que la nécessaire séparation de l’Église et de l’État exige que la sphère publique soit exempte de toute manifestation de foi. D’autres soutiennent que la religion est un choix personnel, « optionnel », qui ne fait pas partie intégrale de la personne humaine et que ceux qui prennent la décision d’avoir une religion devraient s’abstenir de la montrer en public. Exposer ainsi sa foi serait d’une certaine manière une manifestation de soutien à des valeurs qui iraient à l’encontre des droits humains fondamentaux et qu’il serait, par conséquent, légitime d’interdire ou de limiter non seulement les pratiques religieuses qui briment clairement les droits et libertés de la personne, mais aussi celles qui en donnent l’apparence[1]. Pour certaines personnes attachées à la figure de l’individu rationnel, le rapport religieux socialement acceptable est celui qui s’harmonise sans trop de mal à la liberté et l’autonomie de l’individu[2].  Le rapport au religieux de personnes aux pratiques plus orthodoxes peut par conséquent choquer la conscience de certains citoyens, qui peuvent même aller jusqu’à voir dans les habits religieux une forme d’atteinte à leur liberté de ne pas voir de signes religieux.  Toutes ces positions semblent être motivées par une certaine intolérance envers le phénomène religieux. Quant à celle du nouveau gouvernement provincial, elle consiste à créer un espace public exempt de signes religieux, à tout le moins (et pour le moment) en ce qui concerne les agents de l’État en position d’autorité, tout en y maintenant les signes religieux chrétiens, à cause de leur signification patrimoniale.

Les chrétiens, citoyens du Ciel vivant dans le monde, cherchent à trouver le bon équilibre entre leur devoir de diminuer les tensions sociales reliées aux religions, et leur mission primordiale de suivre le Christ et de faire d’autres disciples. Dans les prochaines pages, nous chercherons à mettre en relief le chapitre 7 du rapport de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Bouchard-Taylor, 2007) avec la doctrine sociale de l’Église, qui fournit des pistes qui pourront aider les catholiques Québécois à se positionner dans ce débat brûlant.

Qu’est-ce que la laïcité?

Séparation et neutralité

« Dans une société à la fois égalitaire et diversifiée, l’État et l’Église doivent être séparés et le pouvoir politique doit demeurer neutre envers les religions »[3]. Il ne faut pas, pour autant, « rejeter toute contribution d’hommes et de femmes qui se réclament d’une religion sous prétexte de cette neutralité. L’État et l’Église, bien qu’indépendantes l’un de l’autre, sont en effet « au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes[4] ».  Si pour l’Église la séparation est consommée depuis longtemps, elle maintient toutefois la primauté de la loi morale sur la loi civile, et qu’un chrétien devrait éviter de transgresser la première, qui a éternellement lieu et cours :

« Chercher sincèrement la vérité, promouvoir et défendre par des moyens licites les vérités morales concernant la vie sociale – la justice, la liberté, le respect de la vie et des autres droits de la personne – est un droit et un devoir de tous les membres d’une communauté sociale et politique.[5] »

 Laïcisation ou sécularisation?

Une certaine confusion semble exister dans la population québécoise sur la définition de la laïcité. Tandis que la laïcité consiste en ce que l’État soit gouverné par ses citoyens et que les religions n’aient sur lui aucun pouvoir législatif, la sécularisation est plutôt une idéologie qui vise à extirper toutes les religions du domaine public. Portée à sa version radicale, elle mène à un athéisme d’État où aucune religion n’est tolérée. Si la laïcisation des institutions publiques est souhaitable dans un contexte de diversification culturelle et ethnique des agents de l’État d’aujourd’hui, la sécularisation est une idéologie qu’il faut combattre, parce qu’elle présente un haut potentiel d’atteinte à la liberté d’émancipation intégrale de la personne. Pour les commissaires Bouchard et Taylor, l’État devrait tout faire en son pouvoir pour favoriser la laïcisation de ses institutions tout en évitant de promouvoir la sécularisation[6]. Quant aux Évêques Québécois, ils dénoncent le fait que l’on passe de laïcité de l’État à la laïcité de la société Québécoise comme si celle-ci était devenue areligieuse. La religion serait désormais une affaire strictement privée et on demande à l’État de prendre les mesures nécessaires pour que toutes les activités soient exemptes de toute connotation religieuse[7].

Les principes de la laïcité

La laïcité telle que présentée dans le rapport des commissaires Bouchard et Taylor[8] propose quatre principes qui soutiennent la laïcité de l’État. L’égalité morale des personnes et la liberté de conscience et de religion sont les finalités profondes recherchées par ces principes, tandis que la neutralité de l’État face aux religions et la séparation de l’Église et de l’État sont des moyens pour la réaliser.

L’égalité morale des personnes

Tous les citoyens devraient être égaux devant l’État et aucune appartenance à une religion ou à une culture devrait être favorisée au détriment des autres. L’État doit être celui de tous ses citoyens, qui pour leur part « se rapportent à une pluralité de conceptions du monde et du bien »[9]. L’Église abonde dans le même sens quand elle proclame que « l’homme et la femme ont la même dignité et sont d’égale valeur, (…) parce que tous deux, dans leur diversité, sont l’image de Dieu[10] ». Elle déplore cependant que « certaines conceptions de l’autorité ne reconnaissent pas l’existence d’un ordre moral, d’un ordre transcendant, universel, absolu, d’égale valeur pour tous[11] », rendant impossible, le cas échéant, « de se rencontrer et de se mettre pleinement d’accord, avec sécurité, à la lumière d’une même loi de justice admise et suivie par tous[12] ». Là encore, le chrétien a le devoir de favoriser les comportements ordonnés à la loi d’amour du prochain plutôt que ceux qui se contenteraient d’un statut licite aux yeux de l’État mais contraire à cette dernière.

La liberté de conscience et de religion

« La laïcité tend à ce que chacun puisse mener sa vie à la lumière de ses convictions de conscience[13] ». Nous comprenons donc que la laïcité concerne les institutions publiques et non les citoyens. Les citoyens ont le droit d’exercer librement leur religion, indépendamment des institutions qui, elles, ne sont soumises qu’aux lois de l’État, votées justement par ses citoyens dans le but de servir le Bien Commun[14]. Pour l’Église, « La reconnaissance effective du droit à la liberté de conscience et à la liberté religieuse est un des biens les plus élevés et l’un des devoirs les plus graves de chaque peuple qui veuille vraiment assurer le bien de la personne et de la société[15]. » En tant que Terre d’accueil, les pays devraient porter une attention particulière à la manière dont elle traite ses immigrants, car « de la manière dont est traitée la question religieuse dans notre société dépend l’intégration des immigrants qui veulent que soit prise en compte la dimension religieuse de leur identité.[16] » Voilà le trésor caché que l’Église veut partager : une véritable ouverture à l’autre et une volonté de respect mutuel. Elle sait que « une juste perception de sa propre identité est condition du rapport que l’on instaure avec l’autre ».

La séparation de l’Église et de l’État

L’Église est très claire sur son désintéressement aux affaires politiques. « La communauté politique et l’Église, chacune dans son propre domaine, sont en effet indépendante et autonome l’une de l’autre[17] ». L’enseignement de l’Église se veut plutôt la voix de la conscience de l’humanité, et elle établit « assurément un devoir moral de cohérence pour les fidèles laïcs, intérieur à leur conscience, qui est unique et une[18]. » Au Québec, on constate plutôt un mouvement vers la radicalisation du laïcisme, qui tend à reléguer la religion à la sphère privée uniquement, ce qui ne se fait pas sans soulever quelques difficultés éthiques, par exemple en ce qui concerne le caractère privé ou public de la chambre d’un patient dans un centre hospitalier de soins de longue durée (CHSLD). Laïciser radicalement un tel espace contreviendrait profondément aux droits de la personne protégés par le Charte canadienne, même si c’était, en apparence, pour séparer l’État de la religion. Cet exemple démontre bien que la notion de séparation de l’Église et de l’État ne convient effectivement qu’aux institutions de l’État, et que l’espace public doit promouvoir, à défaut de tolérer, la diversité culturelle et religieuse du peuple québécois d’aujourd’hui.

Conclusion

Il ne faut jamais perdre de vue, dans l’élaboration des règles qui régissent la laïcité, les finalités recherchées par celle-ci, qui sont l’égalité morale des personnes et la liberté de conscience et de religion. À cet égard, la neutralité de l’État à l’égard des religions et la séparation de l’Église et de l’État sont deux structures, essentielles à réaliser, qui « visent à assurer l’égalité des citoyens et vont de pair avec la reconnaissance et la protection de la liberté de conscience et de religion des individus[19] ».   « Vivre et agir en politique conformément à sa conscience ne revient pas à se plier à des positions étrangères à l’engagement politique ou à une forme de confessionnalisme ; mais c’est l’expression par laquelle les chrétiens apportent une contribution cohérente pour que, à travers la politique, s’instaure un ordre social plus juste et conforme à la dignité de la personne humaine[20]. »


[1] BOUCHARD, Gérard, TAYLOR, Charles, Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, rapport de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, p. 145.

[2] Ibid., p. 146.

[3] Ibid., p. 134.

[4] CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Const. past. Gaudium et Spes, 76, in dans CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», Compendium de la doctrine sociale de l’Église. Ottawa : Éditions de la CECC, 2006.

[5] CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX». Compendium de la doctrine sociale de l’Église. Ottawa : Éditions de la CECC, 2006, no. 571.

[6] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, op. cit. p. 135

[7] ASSEMBLÉE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU QUÉBEC, Mémoire à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2007, p. 4-5.

[8] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, op. cit.

[9] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, op. cit. p. 136

[10] CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», op. cit., no. 111.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, op. cit. p. 136

[14] Ibid.

[15] CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», op. cit., no. 553.

[16] ASSEMBLÉE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU QUÉBEC, Mémoire à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2007, p. 16.

[17] CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», op. cit., no. 50.

[18] Ibid. no. 571.

[19] BOUCHARD, Gérard et TAYLOR, Charles, op. cit. p. 136

[20] CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», op. cit., no. 566

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