Faute de prêtre, faut-il célébrer la Parole à l’église locale ou l’eucharistie à l’église voisine?

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Désaccord théologique entre les évêques de La Pocatière et de Rome

Dans l’Église catholique du Québec d’aujourd’hui, il est de plus en plus fréquent de voir des communautés chrétiennes se réunir le dimanche sans qu’un prêtre ne vienne y célébrer la messe. C’est d’ailleurs ce qui se fait dans ma petite paroisse des Cantons de l’Est. Ce phénomène porte un nom officiel assorti de son acronyme : « assemblée dominicale en attente de célébration eucharistique (ADACE) ». Dans d’autres villages – le phénomène est davantage présent dans les communautés rurales, où les distances entre les églises sont plus grandes à parcourir – on a tout simplement décidé de fermer l’église les dimanche où on ne peut célébrer la messe. Dans ce contexte, on pourrait se demander quelle position serait-il préférable d’adopter. Devrions-nous « tenir le fort » de l’église locale, de manière à la garder ouverte en attendant que de nouveaux prêtres nous soient donnés par le Saint-Esprit, ou accepter la situation et chercher à rejoindre un groupe de chrétiens accompagné par un prêtre qui puisse célébrer l’eucharistie, qui demeure « la source et le sommet » de la vie chrétienne ?

Pour explorer la question, nous avons cherché le sens de l’assemblée dominicale et leurs suggestions respectives quant à la nécessité d’aller à l’église ou non le dimanche dans les enseignements de deux évêques : celui de La Pocatière, Monseigneur Pierre Goudreault[1], et l’évêque émérite de Rome, Benoît XVI[2].

Le dimanche, allons-nous à l’église ou à l’Église?

Convocation

Durant les six premiers siècles de son histoire, les gens allaient à l’Église. L’église, avec un é minuscule, renvoie à un immeuble sacré érigé par les disciples du Christ pour s’y rassembler. L’Église, avec un É majuscule, vient du grec ἐκκλησία (ecclesia), c’est-à-dire assemblée, ou convocation, un nom propre qui renvoie à plusieurs personnes. L’Église est donc l’Assemblée convoquée par Dieu le jour de la Pentecôte, où le bruit d’un violent coup de vent souffla si fort que « la foule se rassembla et fut en plein désarroi » (Ac 2, 6). Si on se souvient bien, les Apôtres sortirent alors pour rassurer la foule, chacun dans sa langue d’origine. Puis Pierre enseigna à cette foule le salut qui leur était accordé par la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu.

Les membres de la communauté de Jérusalem ont voulu demeurer fidèles à la mission de Jésus. Par l’annonce joyeuse de la victoire du Christ sur la croix, ils cherchaient à appeler de nouveaux disciples. Avec courage, ils parlaient aux foules de la vie de Jésus et de son message. Sous l’impulsion  de leur rayonnement spirituel et de leur prédication, plusieurs nouveaux adeptes ont eu foi en Jésus. Cela a suscité la formation de nouveaux rassemblements. (…) Pour des observateurs païens, comme Pline le Jeune, dès le début, le rassemblement à jour fixe caractérise l’Église naissante.[3]

Aller à l’Église

Bien que l’eucharistie soit considérée comme l’activité centrale du rassemblement dominical, Mgr Goudreault s’étonne de noter que « dans l’Église ancienne, le dimanche n’est pas explicitement associé à l’eucharistie[4] ». Pendant les quatre premiers siècles de son histoire, c’est bien le fait de se joindre à l’Assemblée convoquée qui apparaît comme primordiale aux Pères de l’Église. « Dans les personnes qui se réunissent dans la foi, c’est le corps du Christ vivant qui se révèle comme le premier sacrement de sa résurrection[5] ».

Puisque vous êtes les membres Corps du Christ, ne vous perdez pas vous-mêmes hors de l’Église, en ne vous y rassemblant pas. Car vous avez le Christ pour chef qui, conformément à sa promesse, est présent et en communion avec vous. Ne vous méprisez donc pas vous-mêmes et ne privez pas notre Sauveur de ses membres ; ne déchirez pas et ne dispersez pas son corps; ne mettez pas vos affaires temporelles au-dessus de la parole de Dieu, mais abandonnez tout, au jour du Seigneur, et courez avec diligence à l’assemblée[6].

Aller à l’Église

Il est clair pour l’évêque de La Pocatière que le devoir dominical, « avant d’être obligation d’aller à la messe, a d’abord été nécessité « d’aller à l’assemblée ». Malheureusement, l’Église n’a pas toujours valorisé le développement de la relation personnelle des fidèles avec leur Sauveur, mais il est temps de mettre en œuvre un renversement de la vapeur en encourageant les membres d’une paroisse donnée à s’y engager. Plus ils seront engagés, plus ils seront conscients d’être « le Corps du Christ », et ils sauront davantage le rendre présent dans leurs communautés, même en l’absence de prêtre. Pour Mgr Goudreault, le dimanche est d’abord le rassemblement où il est possible de rencontrer le Christ réellement présent et de « nous affirmer visiblement chrétiens, de nourrir notre foi et de devenir le corps de Christ[7] ».

faut-il célébrer la Parole à l’église locale ou l’eucharistie à l’église voisine

Son de cloche différent à Rome

Il semblerait que Benoît XVI ne soit pas du même avis que les évêques Canadiens sur les célébrations dominicales sans prêtre. Pour lui, il existe une connexion profonde entre le dimanche et l’Eucharistie, qui est « le présent [éternel] du ressuscité, qui ne cesse de se donner lui-même dans les signes de la Passion et qui devient ainsi notre vie[8] ». Partant du principe que « le sacrement a priorité sur la psychologie » et que « l’Église a priorité sur le groupe[9] », il est acceptable que des communautés chrétiennes se réunissent le dimanche sans la célébration de l’eucharistie seulement dans les pays de mission, de diaspora ou dans les situations de persécutions. Croire qu’il serait « plus important que la communauté se réunisse [à l’église d’un village sans prêtre] pour y entendre et y célébrer la parole de Dieu, plutôt que d’user de la possibilité offerte de participer à la célébration eucharistique dans une église voisine[10] », serait une erreur qui relève d’idéologies communautaires. En effet, pour le pape émérite, cette façon de voir est une dévaluation du sacrement eucharistique au profit d’une valorisation exagérée de la communauté.

« Malheureusement, la recherche de la solution adéquate a souvent été occultée par des idéologies communautaires qui font obstacle à la cause plutôt qu’ils ne la servent. (…) L’expérience communautaire est évidemment plus immédiatement accessible et plus facile à expliquer que le sacrement. Le risque est grand, dès lors, de glisser de l’objectivité de l’eucharistie dans la subjectivité de l’expérience, de la compréhension théologique à l’interprétation sociologique et psychologique. Mais les conséquences d’une telle valorisation de la communauté vécue au détriment de la réalité sacramentelle sont graves : c’est elle-même que la communauté célèbre. L’église devient le véhicule d’un objectif social ; ajoutons qu’elle sert ainsi une visée romantique qui est devenue quelque peu anachronique dans notre société mobile.[11] »

Une question de leadership et de volonté

Si une paroisse regroupant plusieurs villages a un prêtre qui célèbre la messe dans le village voisin, il apparaît clair qu’il n’y a aucune raison de célébrer une ADACE dans une église située à quelques kilomètres de là. Dans ce cas, un autre problème émerge : que faire des personnes à mobilité réduite qui ne pourraient faire le déplacement? Comment aviser des fidèles de passage dans un village de ne pas se présenter à l’église locale, mais plutôt à celle du village voisin? Évidemment, un site internet, à jour, et une page Facebook permettraient de transmettre l’information rapidement aux personnes intéressées. Des listes de co-voiturage devraient être dressées et tenues à jour. Tout cela exige de la volonté et une capacité de gérer le changement auquel nous n’avons pas été habitués dans notre Église québécoise. Au contraire, il est permis de douter, à la lumière de notre expérience, que plus d’une paroisse aurait le courage « évangélique » de faire ce virage, pourtant fondé, théologiquement parlant.

« L’Église institutionnelle n’a pas toujours su valoriser l’assemblée dominicale au besoin impérieux des croyantes et des croyants de se ressourcer et d’assurer une certaine visibilité au corps du Christ ressuscité. Elle a plutôt mis l’accent sur le précepte dominical, contribuant à développer ainsi une pratique de routine chez certains fidèles. Ce genre de pratique ne permet pas vraiment de développer une relation plus personnelle avec le Seigneur[12]. »

Mais ne serait-ce pas précisément dans le but de ne pas déranger la routine de paroissiens attachés à une situation qui date du siècle dernier que les ADACE ont été institués dans un grand nombre de regroupements paroissiaux?

Pour l’évêque de La Pocatière et ses confrères Canadiens, l’assemblée dominicale en attente de célébration eucharistique (ADACE) incarne la présence du Christ vivant dans une communauté. Elle signifie l’espérance des disciples du Christ en une renaissance de la foi et sa confiance en l’œuvre de l’Esprit Saint. On ne saurait être en désaccord avec cette considération. L’évêque émérite de Rome, éminent théologien du siècle dernier, nous invite pour sa part à reconnaître la valeur incommensurable du don de l’eucharistie, qui dépasse celle d’une église sans prêtre, même si elle était animée par une petite communauté dynamique.

L’Église a, de tout temps, la mission de faire d’autres disciples en annonçant la Bonne Nouvelle du salut de toute la création par la vie, les miracles, mais surtout par la mort et la glorieuse résurrection de Jésus de Nazareth, Christ[13]. En définitive, ces quelques réflexions sur le sens de l’assemblée dominicale chrétienne nous porte à mieux comprendre qu’aller à l’Église, le dimanche, est d’une part un « besoin impérieux[14] » du disciple du Christ et, d’autre part, un devoir de répondre à la mission évangélisatrice instituée par le Maître (cf. Mt 28, 19). Quel Évangile annoncerions-nous en ne reconnaissant pas le don immense que le Verbe de Dieu nous fait de sa personne en l’Eucharistie?

 

Travaux cités

GOUDREAULT, Pierre. Célébrer le dimanche en attente d’eucharistie. Ottawa: Novalis, 2003.

RATZINGER, Joseph Cardinal. Un chant nouveau pour le Seigneur. Paris: Desclée, 1995.

 

 

 

 

 

 

[1] (GOUDREAULT 2003), pp.9-37. Mgr Goudreault a été ordonné évêque le 10 mars 2018.

[2] (RATZINGER 1995). Le cardinal Ratzinger a été élu pape le 19 avril 2005.

[3] (GOUDREAULT 2003), p.27

[4] (GOUDREAULT 2003), p.27

[5] (GOUDREAULT 2003), p.28

[6] La didascalie des douze Apôtres, LIX, 2 (IIIe siècle), traduit par F. Nau, Paris, Lethielleux, 1982, p. 116, dans (GOUDREAULT 2003), p.28

[7] (GOUDREAULT 2003), p.37

[8] (RATZINGER 1995), p.93

[9] (RATZINGER 1995), p.104

[10] (RATZINGER 1995), p. 105

[11] (RATZINGER 1995), p.105

[12] (GOUDREAULT 2003), p. 29

[13] Dei Verbum

[14] (GOUDREAULT 2003),

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