Priscille et Aquilas dans les Actes des Apôtres

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Priscille et Aquilas dans les Actes

Priscille et Aquilas apparaissent dans la seconde partie des Actes, celle que Luc dédie aux aventures de Paul. Ils sont donc des « personnages de soutien » pour le héros de l’hagiographe[1], conformément à la manière dont il était coutume d’écrire les biographies à cette époque. Le couple romain est le deuxième à apparaître dans les Actes, après celui d’Ananie et de Saphire, mais il est le premier exemple positif de l’histoire des couples missionnaires. Il nous est permis de croire que Luc les introduit dans les Actes dans le but de fournir un exemple positif d’un couple chrétien[2], car Paul aime bien, lui aussi, utiliser des exemples à suivre de personnes (Jésus, Timothée, Épaphrodite et lui-même dans sa lettre aux Philippiens, etc.) ; Luc en fait donc de même dans son évangile et dans les Actes (Ac 4, 36-5, 11).

Leurs prénoms proviennent du latin, mais puisque tout le monde parlait grec dans leur Pont natal, leurs noms ont été « grécisés » : Priscille, que Paul appelle affectueusement Prisca (latin) dans ses lettres, qui signifie « ancien » ou « primitif » devient Priskilla en grec, tandis que Aquilas, surnom latin signifiant « aigle » est devenu Akila en grec[3]. Tandis que Paul l’appelle Prisca, comme on dirait « Steph » pour « Stéphane », ou « Bob » pour « Robert », Luc utilise son nom formel : Priscille. En tous cas, on parle de la même personne.

Préséance de Priscille sur Aquilas

Priscille et Aquila dans l’excellent film de Andrew Hyatt. Source image: https://callingcouplestochrist.org/2018/03/26/priscilla-and-aquila-a-christ-centered-marriage/

Le fait que Priscille soit nommée avant son mari dans quatre passages du Nouveau Testament est insolite, d’abord parce que les femmes n’étaient que très peu mentionnées à cette époque. Si certains chercheurs ont affirmé qu’elle aurait pu être issue de la famille des Acilia, influente auprès de la noblesse romaine, plusieurs réfutent cette théorie, parce qu’il serait fort improbable qu’une femme qui travaille manuellement aux côtés de son mari dans la dure industrie de la fabrication et de l’entretien des tentes puisse venir de la noblesse[4]. Il nous est plutôt permis de croire que la préséance du nom de Priscille sur celui de son mari soit due à sa plus grande proéminence dans la vie de l’Église, comme le considère Linda L. Belleville :

Quand les rédacteurs du Nouveau Testament font référence à leur métier de fabricants de tentes et à « leur maison », l’ordre est « Aquilas et Priscille » (Ac 18, 2; 1 Cor 16, 19). Mais lorsque le ministère est en vue, l’ordre est « Priscille et Aquilas » (Ac 18, 18; Rm 16, 3 ; cf. 2 Tm 4, 19). C’est aussi le cas lorsqu’Apollos est introduit (Ac 18, 26), ce qui suggère que Priscille possédait le ministère dominant et les aptitudes de leadership du duo.[5]

Belleville soutient encore son point de vue en constatant que dans sa longue liste de salutations au chapitre seize de sa lettre aux Romains, Gaius avec sa vaste demeure et Eraste, le trésorier de la ville, sont nommés en dernier. On dirait bien que Paul estime davantage le travail au service de l’Église d’une personne (Rm 16, 3b, 4, 5a, 21), que son statut dans la société (Ga 3, 28)[6]

Précisions linguistiques

À l’époque du Second Temple et du Nouveau Testament, les termes « Juif » (Ioudaios) et « Judaïsme » (Ioudaismos) ne voulaient pas dire la même chose qu’aujourd’hui. De nos jours, ces termes renvoient à la liturgie et au culte normalisés par le Talmud babylonnien, qui date du 5e au 6e siècle et au peuple qui le pratiquent. Toutefois, à l’époque de Jésus, les mots qui se terminaient par le suffixe -aios signifiaient « qui vient d’un endroit ». C’est pourquoi les Méditerranéens appelaient les membres de la maison d’Israël « Judéens », d’après la région d’où ils provenaient : la Judée. Du coup, Ioudaismos se rapportait au comportement des Judéens ou du peuple en Judée[7].

Le terme « chrétien » tel qu’il est utilisé aujourd’hui n’existait tout simplement pas au temps de Jésus, malgré ce que peut nous laisser entendre la traduction moderniste d’Actes 11, 26[8]. À cette époque, le terme Christianos référait aux gens de la faction politique « du Christ » (Messie) et à ceux qui étaient considérés comme faisant partie du parti messianiste. Aujourd’hui, le terme « chrétien » renvoie à toute personne qui adhère à la religion qui s’est formée officiellement à travers les doctrines des conciles de Nicée (325), Constantinople (381) et de Chalcédoine (425). Au temps de Luc et de Paul, d’aucuns qui proclamaient que Jésus était le Messie de Dieu ne se seraient jamais dits christianos. Ils se voyaient plutôt comme des « disciples de Jésus » ou des « croyants en Christ ». Si on avait demandé à Priscille et Aquila de quelle religion ils étaient, ils auraient dit qu’ils étaient des juifs du groupe de Jésus à Corinthe.

Deux repères chronologiques

Le proconsulat de Gallion en Achaïe

En 1905, le candidat au doctorat en littérature grecque Émile Bourguet défend sa thèse à la Sorbonne. De quatre fragments découverts à Delphes, il rassemble une lettre écrite au successeur de Gallion[9], dans laquelle l’empereur Claude, « informé par Gallion de la diminution, sans doute frappante, du nombre des citoyens de Delphes, a voulu remédier à cette situation : il était enjoint au nouveau gouverneur de faire appel aux habitants d’autres villes de sa province, invités à s’établir à Delphes pour en devenir citoyens, avec tous les privilèges attachés à ce titre[10] ». Un des juges[11] de la thèse défendue par Bourguet lui fait alors remarquer que cette traduction serait utile pour déterminer la datation du voyage de Paul, qui, dans les Actes, subit un procès devant Gallion (cf. Ac 18, 12-17). Ce dernier ayant été nommé proconsul de la province d’Achaïe en 51 par l’empereur Claude,[12] cette découverte importante nous permet donc de dater assez précisément le séjour de dix-huit mois de Paul à Corinthe, de l’hiver 50 à l’été 51.

L’expulsion des Juifs de Rome (cf. Ac 18, 2)

Le biographe Suétone, qui a vécu au tournant du deuxième siècle, raconte que l’empereur Claude « expulsa les juifs qui causaient des troubles constants à l’instigation de Chrestus[13] ». Cela ne ressemble pas à l’attitude habituelle de ce dernier envers les juifs ; il est plus probable qu’il ait expulsé seulement « des Juifs considérés par le pouvoir impérial comme responsables de ces troubles[14] » à Rome. D’ailleurs, si les quarante ou cinquante mille juifs qui habitaient Rome à cette époque avaient bel et bien été expulsés, il est évident que Suétone ou Flavius Josèphe en auraient parlé dans leurs œuvres. Or, nous n’en trouvons pas un mot. On peut donc conclure que seuls les leaders les plus dérangeants du groupe des disciples de Chrestos aient été expulsés de la capitale de l’empire et que le couple Aquilas-Priscille faisait preuve d’une singulière hardiesse missionnaire.

Luc nous donne encore un indice de la dépense du couple pour l’Évangile en mentionnant que des Juifs du Pont se trouvaient à Jérusalem le jour de la Pentecôte (Ac 2, 9). L’auteur de la lettre de Pierre s’adresse également aux Juifs « de la Dispersion : du Pont (…) » (1 P 1,1). Ces deux indices démontrent que les juifs du Pont qui étaient présents le jour de la Pentecôte sont retournés chez eux pleins du Saint-Esprit et qu’ils ont dès lors commencé à annoncer la vérité sur la personne de Jésus Christ[15]. Nous pouvons donc convenir que Dieu et son Église avaient fait de Priscille et Aquilas de fervents chrétiens avant même d’avoir rencontré Paul !

Corinthe

Aujourd’hui, un canal permet aux bateaux de traverser l’isthme

Après que le message de Jésus Christ eut reçu un accueil mitigé à Athènes, Paul se déplace vers la colonie romaine de Corinthe, une importante cité portuaire d’une quarantaine de kilomètres à l’Ouest, à la jonction de la route qui reliait l’Italie à ce qu’on appelle aujourd’hui la Grèce. Les quelques sept kilomètres de largeur de l’isthme sur laquelle elle était située permettait de transférer sans trop de peine les marchandises grâce à une route pavée (diolkos) qui joignait les golfes Corinthien et Saronique, sur laquelle on faisait littéralement rouler les bateaux grâce à des rouleaux et des chariots[16], et qui constituait de la sorte un raccourci de six jours (187 Km) par rapport au chemin maritime beaucoup plus dangereux qui contournait Péloponnèse[17]. La cité devait sa richesse aux redevances qu’elle prélevait sur les marchandises qui passaient en ses murs, protégés par des fortifications qui sont encore en partie visibles aujourd’hui[18].

Corinthe n’attirait pas que les marins. Capitale de l’Achaïe, des pèlerins en quête de guérison affluaient vers son asclépiéion, un temple dédié au dieu Asclépios, autour duquel la ville primitive se regroupait. En son théâtre, on pouvait apprécier les meilleures dramaturgies, des concerts de musique et des joutes d’art oratoire. À un jet de pierre du théâtre se trouvait le stade isthmique où l’on y jouait aux deux ans les deuxièmes Jeux panhelléniques les plus importants, après ceux d’Olympe. « Pendant toute la période gréco-romaine, Corinthe fut célèbre par son luxe et l’éclat de ses arts »[19]. Évidemment, une grande ville de ce genre attirait une diversité de gens, particulièrement ceux du genre qui recherchent les nouvelles tendances[20]. Corinthe était une de ces villes dont raffolait Paul, lui qui aimait se faire des contacts avec des gens de toutes sortes. C’était l’endroit idéal pour y annoncer la Bonne Nouvelle

de Jésus.

La ville de Corinthe. Dessin de JC Govin.

Fabricants ou réparateurs de tentes?

La voie appienne. Source image: https://www.rome-roma.net/voie-appienne.html

Grâce à toutes ces routes construites et entretenues afin de faciliter le déplacement des troupes qui maintenaient la pax romana, il était très facile de voyager à travers l’empire romain à l’époque néotestamentaire. Comme les voyages en bateau étaient moins difficiles et dispendieux que les voyages à pied, il est fort probable que Priscille et Aquilas aient pris la Voie Appienne de Rome jusqu’à Brindisi, dans le « talon » de la botte italienne pour traverser la mer adriatique jusqu’à Léchaion, au sud d’Athènes, et de là à pied jusqu’à Corinthe[21]. La fabrication de tentes exigeait de tenir un stock de cuirs et de toiles de grands formats, très lourds à transporter, et qu’on devait travailler avec des outils de tailles toutes aussi importantes. Puisqu’on sait que le couple a voyagé beaucoup tout en gagnant sa vie dans l’industrie du logement portatif, il est plus probable que le trio missionnaire ait travaillé dans un atelier de réparation de tentes préalablement fabriquées qui ne demandait qu’un petit banc pour s’assoir, du gros fil, de grosses aiguilles, et des doigts très forts[22].

Fondation d’une autre communauté chrétienne à Éphèse

Luc ne raconte nulle part le baptême du couple, ni Paul d’ailleurs, qui atteste pourtant, dans sa première lettre à la communauté de Corinthe (cf 1 Co 1, 14-16), y avoir baptisé quelques personnes (importantes). Il est donc fort probable que Paul ait trouvé, à son arrivée à Corinthe, une communauté chrétienne déjà très fervente, et qu’il ait logé chez les leaders de cette communauté[23]. Cela expliquerait, après qu’ils soient arrivés ensemble à Éphèse, pourquoi Paul leur remet la charge de l’implantation de la communauté jusqu’à ce qu’il revienne de Galatie et de Phrygie (cf. Ac 18, 19-20 ; 19, 1)[24]. C’est au cours de cette période qu’ils prirent Apollos sous leur toit et que, bien qu’il « prêchât avec exactitude ce qui concerne Jésus », le couple continua de l’instruire « plus exactement », ainsi que la communauté. (cf. Ac 18, 25-26).

Un couple de disciples missionnaires

Nous manquons malheureusement d’espace pour faire rapport de tout ce que nous avons trouvé à dire sur le couple Priscille et Aquilas. Nous n’avons couvert que les trois passages de ces derniers dans les Actes, sans même effleurer la richesse de l’information à extirper des lettres de Paul et Pseudo-Paul. Contentons-nous de dire, pour l’instant, qu’on peut y trouver la dynamique des Églises domestiques tacitement décrites par Paul ; des modèles d’Églises domestiques inspirants pour notre époque où le besoin d’une nouvelle structure ecclésiale s’impose.

« Nous sommes à un énorme tournant dans l’évolution de l’humanité. De la crise actuelle émergera une Église qui aura perdu beaucoup. Elle deviendra plus petite et devra plus ou moins repartir des origines. Elle ne pourra plus vivre dans les bâtiments qu’elle a construits dans les périodes de prospérité. Avec la diminution de ses fidèles, elle perdra également beaucoup de privilèges sociaux. Elle redémarrera de petits groupes, de mouvements et d’une minorité qui remettra la foi au centre de l’expérience. [25] » (Benoît XVI)

Les couples d’aujourd’hui auront encore un rôle capital à jouer au cœur de l’avenir du Peuple de Dieu. Priscille et Aquilas travaillaient dans leur milieu et ils parlaient de la Résurrection du Christ avec ceux qui passaient par leur atelier. Le soir, ils invitaient des voisins à discuter avec Paul. Leur exemple éclaire la contribution des couples et des Églises domestiques à l’évangélisation et à la transmission de la foi dans les premiers siècles de l’Église.

Bibliographie

BENOÎT XVI. Les époux Priscille et Aquilas (Audience générale du 7 février 2007). Libreria Editrice Vaticana, 2007.

«Paul et ses disciples.» Dans Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, de Francesco CHIOVARO, 288-301. Paris: Hachette, 1986.

JANIN, R. «Corinthe.» Dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Tome treizième, de Alfred cardinal BAUDRILLART, A. de MEYER et Ét. Van CAUWENBERGH, 876-880. Paris: Letouzé et Ané, 1956.

KELLER, Marie Noël. Priscilla and Aquila, Paul’s Coworkers in Jesus Christ. Collegeville, Minnesota: A Michael Glazier Book, 2010.

La Bible de Jérusalem. Paris: Cerf, 2000.

PLASSART, André. «L’inscription de Delphes mentionnant le proconsul Gallion.» Revue des Études Grecques, tome 80, fascicule 379-383, Janvier-Décembre 1967: 372-378.

[1] KELLER, Marie Noël. Priscilla and Aquila, Paul’s Coworkers in Jesus Christ. Collegeville, Minnesota, A Michael Glazier Book, 2010, p. 1

[2] Ibid., p. xii

[3] Ibid., p. xiii

[4] Ibid., p. xiv

[5] BELLEVILLE, Linda L, Women Leaders in the Bible, cité dans op. cit. p. XIV

[6] Ibid.

[7] Ibid., p. XVII.

[8] Ibid.

[9] PLASSART, André. « L’inscription de Delphes mentionnant le proconsul Gallion. » Revue des Études Grecques, tome 80, fascicule 379-383, Janvier-Décembre 1967, p. 376

[10] Ibid., p. 377.

[11] Ibid., p. 374.

[12] BIBLE DE JÉRUSALEM, Ac 18, 12, note j).

[13] PLASSART, André. op. cit., p. 373. Traduction du grec tirée librement à partir de Google Traduction.

[14] Ibid.

[15] KELLER, Marie Noël. op. cit., p. 12

[16] «Paul et ses disciples.» Dans Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, de Francesco CHIOVARO, 288-301. Paris: Hachette, 1986, p. 294

[17] KELLER, Marie Noël, op. cit., p. 2

[18] JANIN, R. «Corinthe.» Dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Tome treizième, de Alfred cardinal BAUDRILLART, A. de MEYER et Ét. Van CAUWENBERGH. Paris: Letouzé et Ané, 1956, col. 877.

[19] Ibid.

[20] KELLER, Marie Noël, op. cit., p. 2.

[21] Ibid., p.13

[22] Ibid., p. 16

[23] Ibid., p.11

[24] Ibid., p. 22

[25] BARDAZZI, Marco. «La profezia dimenticata di Ratzinger sul futuro della chiesa.» La Stampa. 18 février 2013. https://www.lastampa.it/2013/02/18/vaticaninsider/la-profezia-dimenticata-di-ratzinger-sul-futuro-della-chiesa-vAg79bFRBPcXwaVznUshbN/pagina.html.

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