Les premières querelles christologiques : d’Apollinaire à Nestorius

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Le problème interne de la Trinité étant réglé, se pose désormais la question sur le Christ à proprement parler : Comment dans le Verbe incarné ce qui vient de Dieu et ce qui est de l’homme s’unissent-ils pour constituer un unique Seigneur Jésus-Christ?

Apollinaire de Laodicée, bien qu’en accord avec la formule homoousios de Nicée, comment l’erreur de n’accepter qu’une seule nature pour le Christ, celle de Dieu, et donc rejette la nature humaine. Son corps n’est donc pas celui d’un homme semblable à tous les autres. Le problème avec sa doctrine, c’est que son corps crucifié ne sauve alors personne d’autre, puisqu’il n’est pas semblable au nôtre. Le grand argument opposé à l’apollinarisme : « ne peut être sauvé (dans l’homme) que ce qui a été assumé (par le Christ)[1].

La réaction à l’apollinarisme entraîne une intense activité doctrinale. Diodore de Tarse est le fondateur de la christologie antiochienne du début du Ve siècle. Il affirmait la « totale humanité assumée par le Verbe dans l’Incarnation, ce qui l’amène à distinguer fortement, en Jésus-Christ, celui qui est Fils de Dieu de celui qui est fils de Marie, et par elle, fils de David[2]. » « Mais il n’y a pas deux fils ».

Théodore de Mopsueste
Théodore de Mopsueste. Source image: luminousdarkcloud.wordpress.com

Le plus célèbre disciple de Diodore est saint Jean Chrysostome, mais il a évité de s’engager dans la christologie. Un autre de ses disciples, et ami de Jean Chrysostome, est Théodore de Mopsueste, qui s’est opposé à « la christologie tronquée des ariens et des apollinaristes » [3]. Sa préoccupation fondamentale étant d’assurer la pleine humanité du Christ – de faire assumer tout ce qui doit être sauvé – il était conduit par la force des choses à méditer moins sur le mystère du Dieu qui s’est abaissé jusqu’à nous qu’à mettre en évidence l’homme assumer, les honneurs qu’il reçoit, sa destinée splendide. L’inhabitation du Verbe parmi nous (Jn 1, 14) dans le « temple » de son humanité (Jn 2, 21). L’historien Jean Daniélou semble vouloir restaurer Théodore.

Nestorius n’a pas attendu plus longtemps que le lendemain de son élection à l’épiscopat de Constantinople pour partir à la chasse aux hérésies et ainsi se faire de nombreux ennemis. Il insiste très fortement sur la distinction entre les deux natures du Christ, contestant que le Christ ait pu souffrir dans sa passion. Mais surtout, il refuse à la Vierge Marie le titre de Mère de Dieu (Φεοτόκος), puisqu’elle a enfanté d’un homme et que mal comprise, cette considération risque de faire verser dans l’arianisme ou l’apollinarisme[4].

C’est cette attaque contre le mot « Théotokos » qui provoque a le plus de scandale et fit éclater la crise : ce n’était pas la dernière fois que la mariologie servirais comme de Pierre de touche pour vérifier la santé d’une théologie et déceler l’apparition d’un germes hérésie.[5]

Nestorius. Source image: taylormarshall.com/

Du concile d’Éphèse (431) au concile de Chalcédoine (451)

saint Cyrille d'Alexandrie
Saint Cyrille d’Alexandrie. Source image: http://reflexionchretienne.e-monsite.com

Saint Cyrille, évêque d’Alexandrie, est l’adversaire le plus ardent de Nestorius. La tradition de l’Église voit en lui le  Docteur par excellence de l’Incarnation : « Car si Notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu, comment la Vierge sainte qui l’a enfanté ne serait-elle pas Mère de Dieu? »[6] Il est le premier à utiliser l’expression « union hypostatique », même si elle n’a pas la définition qu’on lui donne aujourd’hui. Le thème de l’unité indissoluble entre le Dieu et l’homme dans l’Incarnation est bien caractéristique etdominant chez lui.

« L’axe Rome-Alexandrie le favorisant, [après la condamnation de Nestorius par le pape Célestin,] Cyrille rédige « Sa propre doctrine christologie en des termes d’une grande précision technique et la condensant pour finir en 12 propositions ou anathématismes. Toutes ces formules appartiennent aujourd’hui au patrimoine théologique de l’Église.[7] ».

L’idée de régler l’affaire par un concile s’imposa bientôt et dès le 19 novembre [430] Théododose II convoquait pour l’année suivante à Éphèse ce qui devait être le IIIème concile œcuménique. Cyrille brusqua les choses et ouvrit le concile le 22 juin 431 sans attendre ni les Orientaux, ni les légats romains, qui arrivèrent à Éphèse les un cinq jours, les autres plus de deux semaines après. Nestorius, qui refusa de comparaître, fut condamné et déposé. Le groupe des orientaux avait protesté et, réuni en contre-synode, avait riposté de son côté en prétendant déposer Cyrille lui-même et son allié Memnon, l’évêque d’Éphèse; à quoi la majorité cyrillienne, qui groupait maintenant près de deux cents évêques, répondait en excommuniant à leur tour Jean d’Antioche et les 34 partisans qui lui restaient. Pendant que Nestorius, Cyrille et Memnon étaient en garde-à-vue, la foule au dehors s’agite, des émeutes éclatent, plus encore qu’au temps de l’arianisme.  L’empereur se saisit de l’affaire, penche pour le parti cyrillien mais sans condamner les orientaux. Il congédie le concile en octobre 431.[8]

Le pape Sixte III seconde l’empereur dans son entreprise de réconcilier les deux partis représentés par Jean d’Antioche et Cyrille d’Alexandrie. Après de longues négociations, les deux s’entendent et professent la même foi et sur de mutuelles concessions : Antioche accepte la condamnation de Nestorius et de sa doctrine « pernicieuse » ; d’autre part Cyrille renonce d’imposer ses convictions personnelles et se contente d’un credo de rédaction antiochienne. Ce Symbole d’Éphèse témoigne de l’étape parcourue dans la voie de l’élaboration du dogme et condense sur le plan doctrinale l’apport de cette grave crise. Il représente un remarquable effort de synthèse entre les deux théologie rivales : l’équivoque « conjonction » a fait place au terme proprement cyrillien «  d’union » mais celui-ci est précisé par l’épithète « sans confusion », qui sauvegarde la distinction des deux natures.[9]

En 447-448, Théodoret s’oppose à un influent archimandrite de Constantinople, Eutychès, qui souligne avec trop d’emphase ce qui, dans l’Incarnation, relève de Dieu et cela au détriment de l’élément proprement humain. C’est l’hérésie monophysite. L’accusation principale sera d’avoir professé que si Notre Seigneur Jésus-Christ est bien formé « à partir de deux natures, s’il y’a bien deux natures avant l’union, il n’en subsiste plus qu’une dans l’union ; d’où une interprétation littérale et par là excessive de la formule apollinariste et cyrillienne : «Unique est la nature du Verbe incarné». »[10]

[Eutychès] parait avoir éprouvé beaucoup de répugnance à accepter la seconde partie de la formule si parfaitement équilibrée du Symbole d’Éphèse : « Consubstantiel à son Père selon la divinité, consubstantiel à nous selon l’humanité »[11].

Le 30 mars 449, on convoque un nouveau concile à Éphèse. Le pape saint Léon adresse une lettre à l’évêque de Constantinople dans lequel il formule la définition que l’Église a conservée comme l’expression la plus parfaite du dogme christologique. Dioscore préside le concile et il utilise les mêmes méthodes que Cyrille en truquant celui-ci. Eutychès est réhabilité ; Théodoret, Eusèbe et Flavien, considérés comme nestoriens, sont condamnés. Mais un coup de théâtre survient : l’empereur meurt et on assiste à l’influence du camp adverse, qui s’avère être celui identifié par l’Esprit de Vérité. Un nouveau concile œcuménique est convoqué à Chalcédoine, non loin de Constantinople, du 8 octobre au 1er novembre 451.

Plus de cinq cents évêques participent à ce concile véritablement œcuménique, qui se veut la revanche du « brigandage » de 449. Ce n’est pas sans peine qu’on formule un nouveau symbole de foi et que la formule de celui-ci, rédigée en commission, put être finalement approuvée. Ils confessent :

« Un seul et même Christ Fils, Seigneur, Monogène, sans confusion, sans mutation, sans division, sans séparation, la différence de nature n’étant nullement supprimée par l’Union, mais plutôt les propriétés de chacune étant sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase. »

[1] DANIÉLOU, J. & MARROU, H., 1963. Nouvelle histoire de l’Église, Tome I : Des origines à SaintGrégoire le Grand. Paris: Seuil, p. 382

[2] Ibid. p. 383.

[3] Ibid. p. 384

[4] Ibid. p. 385.

[5] Ibid. p. 386.

[6] Ibid. p. 388

[7] Ibid. p. 389

[8] Ibid. p. 391

[9] Ibid. p. 392

[10] Ibid.  p. 394

[11] Ibid. p. 394

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