De tout temps, l’être humain aspire au bonheur et il a cherché les moyens les plus efficaces pour y arriver. Dès le tournant du deuxième siècle, la Didachè décrivait la voie du Bien et celle qui mène à la Perdition. Les Pères de l’Église ont cherché à traduire la morale chrétienne par des références culturelles gréco-romaines, tandis que saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, a déployé sa doctrine dans sa magistrale Somme Théologique par les mêmes méthodes que les philosophes qu’on redécouvrait dans les universités nouvellement instituées. Ce n’est qu’à cette époque que la notion de « théologie morale » deviendra une véritable discipline de la théologie, sans toutefois en être dissociée de manière à la rendre complètement indépendante du reste des sciences métaphysiques.
Période patristique
Les Pères décrivaient l’imitation du Christ comme la voie chrétienne vers le bonheur. La Grâce est donnée gratuitement par Dieu à l’homme qui vit dans le Christ et qui reçoit les sacrements de l’Église, qui est son Corps, et qui y demeure fidèle. Le bonheur du chrétien ne consiste donc pas à satisfaire des besoins humains et à éviter la souffrance comme les païens dispersés dans le monde, mais le centre de son bonheur se trouve dans la communion à l’Église et à Dieu par l’imitation du Christ, dont le martyre en est, selon les Pères, la manière la plus parfaite. L’idéal de la virginité leur apparaît alors comme « un martyre de remplacement » qui témoigne de « la vie dans un monde nouveau, le monde eschatologique du salut »[1].
On trouve à l’époque patristique une unité entre la spiritualité et la morale. Les Pères font la relation entre la philosophie et la théologie révélée, entre les vertus énoncées par les philosophes et la Grâce donnée par Dieu pour les atteindre. Puisque Dieu est Chemin, Vérité et Vie (cf. Jn 14,6), ils ne craignent pas de puiser ce qu’il y a de vrai et de beau chez les stoïciens, ou encore chez Aristote et Plotin, puisque découlant de la même Source.
Moyen-Âge et saint Thomas d’Aquin
Au XIIe siècle, on tente de bâtir une morale chrétienne à partir des sciences profanes. Alors que le Common law se répand depuis le XIe siècle, Gratien rassemble les divers textes ayant rapport au droit dans l’Église et décrète, en 1150, ce qui est cohérent entre des lois qui pourraient paraître contradictoires entre elles. Pendant qu’on étudiera ce texte fondamental du droit canonique, la morale est dévoilée à travers le prisme du juridique. Bien que l’expression « théologie morale » apparaisse pour la première fois en 1160, on ne peut parler à cette époque d’une véritable discipline théologique, mais d’une théologie qui soit plutôt liée étroitement à la philosophie et aux autres sciences développées dans les universités nouvellement apparues. Pour les grands auteurs de cette période tels que Bernard de Clairvaux, Lombard, Albert Legrand et Bonaventure, la théologie ne sert pas seulement la contemplation, mais surtout à nous rendre meilleurs. Ce n’est donc pas que la théologie morale ne soit nulle part dans leurs écrits ; on devrait plutôt dire qu’elle est partout !
À l’instar de saint Augustin, le bonheur est pour saint Thomas d’Aquin (1225-1274) la question primordiale qui détermine la fin ultime de la vie et de l’agir humain[2]. Dans son œuvre en trois parties, il étudie d’abord l’identité de Dieu et de sa Création, incluant l’homme. Il établit ensuite de manière pratique dans la deuxième partie de sa Somme comment l’homme, maître de ses œuvres et doté du libre arbitre, devrait se comporter dans son mouvement de retour vers son Créateur. L’homme répond à Dieu par un comportement moral mû par les trois vertus théologales (la charité, la foi, l’espérance) et les quatres vertus cardinales (la prudence, la tempérance, la force, la justice). Enfin, la troisième partie de la Somme théologique du Docteur angélique propose l’imitation de Jésus Christ comme chemin vers « la béatitude de l’immortelle vie »[3].
La théologie morale de Thomas d’Aquin est fondamentalement christocentrique et rejoint l’enseignement des Pères en utilisant la sagesse humaine telle que déployée par Aristote. Il fait ainsi l’union entre l’expérience mystique et la puissance de la raison. Toute la Somme théologique tend à mener l’homme à pratiquer la vertu à cause de sa compréhension rationnelle et de sa communion ontologique avec Dieu et ses créatures. Ainsi, la « béatitude est communion bienheureuse avec Dieu, participation à sa connaissance, entrée dans son amour »[4].
Suivre Jésus
Bien que l’humain soit doté d’une raison qui lui permette de dessiner les contours de Dieu en observant la nature, seule une authentique rencontre personnelle avec le Christ ressuscité ne donne sens à une morale par ailleurs au-dessus des forces humaines. Ce n’est qu’après avoir accueilli Dieu tel qu’Il se révèle dans la Bible et qu’Il s’incarne dans l’histoire du monde que l’humain fait l’expérience du déplacement du centre de son bonheur, orienté concupiscemment vers sa propre personne et les biens matériels, vers la béatitude d’être en communion avec le Créateur et ses créatures. C’est l’exemple que nous donne saint Augustin, qui alors qu’il eut reçu une excellente éducation légale, philosophique et chrétienne, ne devint le grand maître que l’on connaît qu’à cause de sa rencontre avec le Christ et, à travers Lui, de l’approfondissement qu’il fit sans cesse des Écritures. Le survol des treize premiers siècles de l’histoire de la théologie morale nous permet d’apprendre que l’imitation de Jésus Christ, le Verbe fait chair, est le chemin et le moyen pratique le plus sûr d’atteindre la béatitude éternelle.
[1] HÄRING, Bernhard. La loi du Christ. Théologie morale à l’intention des prêtres et des laïcs. Tome I. Paris: Desclée de Brouwer, 1956, p.20
[2] PINCKAERS, Servais. La morale catholique. Paris: Les Éditions du Cerf, 1991, p. 33
[3] S. THOMAS D’AQUIN, S. Théol., III, prologue, cité dans Häring, Bernhard. op. cit., p. 32
[4] HÄRING, Bernhard. op. cit., p. 31
Bibliographie
«Décret de Gratien.» 30 juillet 2017. Wikipédia. Article. 27 septembre 2018.
HÄRING, Bernhard. La loi du Christ. Théologie morale à l’intention des prêtres et des laïcs. Tome I. Paris: Desclée de Brouwer, 1956.
PINCKAERS, Servais. La morale catholique. Paris: Les Éditions du Cerf, 1991.
Une réponse
Cela me rappelle mes années d’études en théologie. Des auteurs classiques sur des questions morales. J’ai d’ailleurs donné à la Faculté de théologie de l’UdM le cours de Morale chrétienne.