La sagesse instruit. Bien plus, elle donne le désir d’instruction. On pourrait dire qu’elle est la soif d’apprendre. Par contre, cette soif serait-elle une soif contrôlable sur laquelle nous pourrions exercer notre emprise? Sinon, serait-elle un besoin qui grandirait et diminuerait selon nos étapes de vie? En fait, la sagesse n’est sans doute pas une soif ou un quelconque besoin. La réponse est bien plus profonde; la sagesse est un être qui cherche à répondre à un besoin. Ce besoin est de se révéler à nous.
Pour les anciens philosophes grecs, la sagesse est un fait objectif. Elle n’est pas une capacité subjective du cerveau à analyser des éléments, comme la psychologie contemporaine le prétend. La « sagesse », en grec, est « sophia ». Ce mot sert aussi de suffixe au terme grec « philia », signifiant « affection ». Ces deux mots unis donnent le mot français « philosophie ». La philosophie est donc « l’affection de la sagesse ». Pour Platon et compagnie, la sagesse est donc une amie, car on peut l’affectionner, l’aimer, telle une personne.
Cette perception des anciens Grecs se trouve encore mieux représentée dans l’histoire du peuple juif. Les Israélites (ancêtres des Israéliens actuels) étaient énormément influencés par la culture hellénique, sans toutefois laisser celle-ci influencer leur religion. Israël est en fait l’unique nation antique à avoir connu les règnes d’Alexandre le Grand, et ses généraux, et de Rome sans laisser ceux-ci déformer leur religion. La langue et les coutumes grecques ont modifié la culture hébraïque dans le quotidien, mais de son côté, la philosophie n’a rien modifié à leur culture et leur religion. En fait, la philosophie grecque est venue supporter la pensée hébraïque. Plusieurs livres bibliques de l’Ancien Testament, soit la Bible hébraïque avant l’avènement de Jésus de Nazareth, parlent de la sagesse. L’un d’eux se nomme le « Livre de la Sagesse ». Il aurait été écrit par le roi Salomon, héritier du roi David. Ce qui était implicite pour Platon est explicite pour Salomon; la sagesse est une personne qui se rencontre, qui se découvre. Pour Salomon, la sagesse n’est nulle autre que l’esprit de Dieu. Cette compréhension marqua fortement la philosophie jusqu’au siècle des « Lumières ». Elle passa par des auteurs juifs de l’antiquité tel que Ben Sirac, en passant par de grands philosophes chrétiens tels Augustin d’Hippone à Thomas d’Aquin, et plus récemment, Hans Urs von Balthasar. Elle marqua aussi tout ce qu’on nomme « l’Orient chrétien », soit la Grèce qui embrassa la foi chrétienne dans l’antiquité et le grand territoire de la Russie et ses alentours.
La conception de la sagesse pour Israël se démarqua de toutes les mythologies antiques. La Grèce superstitieuse qui voyait en Platon et Aristote des hérétiques, l’Égypte et Rome qui manquaient de goût en qualité de croyances, et même la Mésopotamie, berceau de toute civilisation, avaient un regard très simpliste de la sagesse. Ces nations étaient polythéistes et avaient des panthéons divisés en divers dieux et déesses qui avaient tous des particularités propres. Parmi ces panthéons, il y avait toujours un divin qui personnifiait la sagesse, par exemple, la Grèce avait Athéna, Rome avait Minerve et les Égyptiens avaient Seshat. La Mésopotamie avait aussi Nidaba. Ces divinités étaient aussi les déesses de l’écriture ou de l’étude. Nous voyons donc que la sagesse n’était vraiment rien d’autre qu’une personnification ou une compétence offerte par les dieux. Toutefois, pour Israël la sagesse n’était pas une caractéristique ou une personnification de Dieu, mais bel et bien l’esprit même de Dieu. Pour eux, on ne pouvait pas adorer Dieu en espérant recevoir la sagesse comme s’il s’agissait de quelque chose d’extérieur à lui-même, ou un bien qu’il possède et donne tout simplement comme une faveur. Pour recevoir la sagesse, il faut entrer en relation avec elle, avec « l’esprit du Seigneur ». Pour eux, la sagesse est un tout, non une particularité.
Si la sagesse est un tout, une entité objective, elle est bien loin du simple besoin que l’on exprime ou du bien acquérable et contôlable. Elle est bien plus proche de la personne que je rencontre, que j’apprends à découvrir et avec qui je noue une affection. Il suffit de la chercher comme on cherche une personne, en demeurant sur le chemin. Dès lors, c’est elle qui viendra à notre rencontre…