De manière générale, la gnose se définit comme « une forme particulière de connaissance qui a pour objet les mystères divins et qui est réservée à un groupe d’élus[1] ». Dans le sens donné par la tradition catholique, il s’agit plus précisément d’un mouvement religieux qui a connu ses beaux jours au IIe siècle après J-C. Elle est une connaissance réservée à une élite capable de la comprendre, fondée « sur la transmission d’un récit mythique qui a pour but de répondre aux questions existentielles de chaque gnostique : « qui sommes-nous, que sommes-nous ; où allons-nous, de quoi sommes-nous purifiés ; qu’est-ce que la génération et la régénération ?[2] ».
Bien que les origines exactes de ce mouvement n’aient pas été encore complètement résolues, la réponse gnostique, d’une particulière originalité, semble manifestement issue d’un sentiment d’aliénation, d’étrangeté, de l’individu par rapport au cosmos. La gnose chrétienne, typiquement syncrétiste, se veut une interprétation de l’Évangile auquel on aura ajouté quelques notions philosophiques grecques et aux traditions sémitiques. Le monde matériel est vu comme rempli d’impuretés auxquelles on échappe par un alignement de la pensée qui mènera éventuellement à cette plénitude divine par-delà le cosmos. Cette manière d’opposer matière et esprit (dualisme) mène à concevoir le cosmos comme créé par un dieu, mauvais, qui soit opposé à un autre dieu bon, principe créateur du monde de l’esprit. Ce dieu créateur, le vrai Dieu, « Père du tout », est inconnaissable, indescriptible, insaisissable. C’est le Dieu agnostos (inconnaissable).
« Le Basilide d’Hyppolyte affirme cette transcendance et cette impossibilité de connaissance, toutes deux absolues : il rappelle comment, au commencement, il y avait le Dieu qui n’existe pas, « sans pensée, sans sensibilité, sans volonté, sans desseins, sans passion et sans désir »
FILORAMO, G. «Gnose – Gnosticisme », dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, Tome I
Barbelognosticismes
Mais ce Dieu inconnaissable est à la fois le Dieu de la Grandeur qui appelle à la Plénitude de la connaissance de toutes choses (le plérôme). Il est hermaphrodite, c’est-à-dire que par un exercice de prise de conscience de soi, il veut se connaître en créant des petites parties de lui-même (les éons), qui sont forment tout de même un seul corps, un seul fils (Barbelo, Nous). Le dernier éon, la Sophia (Sagesse), a commis le péché de se croire seule et doit se purifier de cette pensée par son passage sur la terre. Plus elle se détachera du monde, plus elle sera dans le monde pléromatique ; le croyant doit retrouver la sagesse à l’intérieur de lui-même qui le reliera à l’anima mundi. Dans cet angle, le Christ est proposé comme le Démiurge qui servira de modèle.
Cosmogonies gnostiques
« Au commencement, il y avait la Lumière et les Ténèbres et au milieu des deux l’Esprit.[4] ». Ce modèle de système, appelé de la triade, fait de l’Esprit (ou Logos, qui sont ici synonymes), celui qui mélange les forces du Bien et du Mal pour créer le monde matériel. Une espèce d’antéchrist et sa cour d’archontes pervers règne sur le monde, et il intervient « ou bien sur une matière préexistante et déjà négative, ou bien sur une matière qui est le résultat et le produit des événements du plérôme ; cette matière est ombre, apparence ou déficience de l’être[5] ». Dans ce modèle complexe, le Démiurge crée le monde à partir de modèles intuitifs transmis par le véritable Créateur de tout. Il doit sauver le monde en récupérant ce qui n’a pas été corrompu dans la matière et en réunissant les particules de lumière et les germes spirituels qui y ont été disséminés[6].
Eschatologie gnostique
C’est au moment de la grande conflagration finale qu’aura lieu le Jugement dernier et la punition des méchants. Alors, le monde sera rétabli dans son ordre initial, dans lequel le principe spirituel aura définitivement vaincu le mal. Acquérir la gnose, c’est déjà un avant-goût en ce monde du plérôme à venir, qui ne se consommera complètement qu’une fois seulement l’âme détachée du corps mortel.
Morale
Le gnostique est déjà un être sauvé, ce qui peut se traduire par deux positions diamétralement opposées. Certaines communautés placaient le croyant au dessus de la loi et du législateur, ouvrant ainsi la porte à la luxure et au culte spermatique[7]. D’autres, telles que les ordres coptes, font la promotion d’un ascétisme radical qui va jusqu’au rejet même du cosmos.
Culte
Peu d’informations ont traversé les siècles pour nous faire une idée précise du culte gnostique. Certains valentiniens disaient, à l’instar de beaucoup de Québécois d’aujourd’hui, que le véritable culte de l’Esprit est dépourvu de signes visibles et corruptible. « La rédemption parfaite est la connaissance même de l’indicible Grandeur[8] ». Certaines sources historiques font état de l’existence de prières, d’hymnes et de psaumes. « Il y avait un culte des images et des églises. Il existait des cultes spermatiques et du serpent, réinterprétations gnostiques pures et simples de mystères cultuels de la régénération[9] ». Certains hérésiologues ont vu en Simon le Magicien (cf. Ac 8, 9-25) « la grande puissance » dénoncée par saint Luc.
L’école de Valentin
Même si plusieurs sectes dites valentiniennes se sont affrontées au sein même du système proposé par Valentin, son système typique reposait sur une vision fondamentalement unitaire et originale du monde pléromatique. « Qu’il suffise ici de citer la présence d’un plérôme de trente éons, l’importance particulière qu’y revêt la première Ogdoade, le rôle primordial de Sophia[10] ». Mais le trait le plus caractéristique de l’école valentinienne est sans doute cet optimisme sotériologique des grands maîtres valentiniens, convergeant avec les conceptions contemporaines de la grande Église : « Tous les hommes qui qui recevront les mystères dans l’Ineffable deviendront roi avec moi et siégeront à ma droite et à ma gauche dans mon Royaume[11] ».
Cet universalisme sotériologique figure de la capacité de
pénétration des conceptions sotériologiques orthodoxes.
[1] FILORAMO, G. «Gnose – Gnosticisme », dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, Tome I, de Angelo DI BERNARDINO, Genova, Les Éditions du Cerf, 1990, p. 1061
[2] Ibid., p. 1062
[4] ParSem NHC VII, 1, p. 1, 26 s. ; cf. les séthiens d’Hippolyte, Ref. VI, 19, 2 ; cités dans FILORAMO, G., op. cit. p. 1064
[5] FILORAMO, G., op. cit. p. 1064.
[6] Ibid.
[7] Ibid. p. 1065
[8] SAINT IRÉNÉE DE LYON, Contre les hérésies, cité dans FILORAMO, G., op. cit. p.1065.
[9] FILORAMO, G., op. cit. p.1065.
[10] Ibid., p. 1066
[11] Pistis Sophia, chap. 96, cité dans FILORAMO, G., op. cit. p.1066.
Une réponse
Bonjour, Je vous signale que les Éditions Beya viennent de publier la traduction enfin complète de : Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies (ISBN 978-2-930729-10-7).
Cordialement