La trahison de Judas scandalise ceux qui aiment Jésus depuis les vingt derniers siècles. Le fait qu’un de ses amis les plus proches de lui le livre ainsi pour un prix ridiculement peu élevé ajoute l’insulte à l’injure. Pourtant, toute l’histoire sainte annonce cette trahison[1]. À quel point Judas est-il coupable de son erreur, lui qui semblait prédestiné à poser ce geste? Jésus l’a-t-il poussé à le vendre, oui ou non? Aurait-il pu refuser? Judas est-il en enfer? Quel rapport avec moi? Il s’agit d’une question presque taboue dans notre Église qu’on a tendance à régler bien vite : Judas a trahi Jésus, il ne supportait pas, et il s’est suicidé. Fin de l’histoire. Mais l’histoire de Judas nous concerne-t-elle, nous, disciples du Christ, au-delà de la condamnation de celui qui s’est retourné contre le Fils de Dieu? D’abord, établissons une comparaison entre le reniement de Pierre, qui est aussi une trahison, avec celle de Judas, pour voir s’il y a des ressemblances malgré les apparences. Ensuite, nous nous pencherons sur le désespoir qui mène au suicide et sur la miséricorde, inépuisable ou non, de notre Seigneur Dieu.
La trahison de Pierre
Pierre a, lui aussi, trahi le Seigneur. Objectivement, sa trahison n’a peut-être pas la même gravité que celle de Judas, mais elle trouble gravement le chef des apôtres. Il ne se serait jamais cru capable de tourner le dos à Jésus, mais il le fit trois fois dans les quelques heures qui ont suivi cette promesse à l’emporte-pièce.
Pierre lui dit : « Tous les autres t’abandonneront peut-être, mais moi, je ne t’abandonnerai jamais! (…) Même si je dois mourir avec toi, je ne dirai jamais que je ne te connais pas! » Et tous les disciples dirent la même chose. (Mt 26, 33.35)
Pierre est vraiment sûr de son affaire. Jésus ne semble pas fâché de sa déclaration, même s’il sait très bien que Pierre va le renier dans les quelques heures qui suivront : « Je te le dis, c’est la vérité : cette nuit, avant que le coq chante, tu diras trois fois que tu ne me connais pas. » (Mt 26, 34)
Les yeux de l’Amour
Est-ce parce que Jésus a prié « pour qu’il ne perde pas la foi » (Lc 22, 32) que Pierre n’ait pas eu envie de se suicider après avoir renié Jésus? Le père Guy Simard, o.m.v., dans cette magnifique vidéo, pense que c’est le regard que Jésus pose sur son disciple qui le sauve.
Une heure plus tard environ, un autre encore insiste en disant : « C’est sûr, celui-là aussi était avec Jésus! En effet, il est de Galilée. » Mais Pierre répond : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » Au moment même, pendant qu’il parle encore, un coq se met à chanter. Le Seigneur se retourne et il regarde Pierre dans les yeux. Alors Pierre se rappelle ce que le Seigneur lui avait dit. Il lui avait dit : « Aujourd’hui, avant que le coq chante, tu diras trois fois que tu ne me connais pas. » Pierre sort de la cour et il pleure beaucoup. (Lc 22, 59-62)
Judas n’a pas eu la chance de croiser le regard de Jésus.
Alors l’un des douze apôtres, appelé Judas Iscariote, va voir les chefs des prêtres et il leur dit : « Qu’est-ce que vous voulez me donner, si je vous livre Jésus? » Les chefs des prêtres lui donnent 30 pièces d’argent. À partir de ce moment, Judas cherche une bonne occasion pour leur livrer Jésus. (Mt 26, 14-16)
Une question qu’on a tendance à régler assez vite
L’hostilité envers Judas est vraiment flagrante dans les évangiles et c’est peut-être ce qui nous fait oublier le rôle « heureux » de ce dernier dans l’économie du Salut. Nous n’aimons pas nous identifier à Judas et à sa trahison. Aurions-nous vendu le Seigneur, à la place de Judas? Nous faisons souvent des saints Pierre de nous-mêmes en répondant avec assurance que non, jamais nous ne le trahirions. Mais, après avoir annoncé une fois de plus qu’il devra être livré, mourir et ressusciter, Jésus insiste auprès de Judas : « Fais vite ce que tu dois faire ».
Jésus trempe dans le plat un morceau de pain et il le donne à Judas, fils de Simon Iscariote. Judas le prend, et aussitôt Satan entre en lui. Jésus dit à Judas : « Fais vite ce que tu dois faire. » Parmi les disciples qui sont là, personne ne comprend pourquoi Jésus dit cela. C’est Judas qui garde l’argent, alors quelques-uns pensent que Jésus a voulu dire : « Va acheter ce qu’il faut pour la fête », ou : « Va donner quelque chose aux pauvres. » Judas prend donc le morceau de pain et aussitôt, il sort de la maison. C’est la nuit. (Jn 13, 26-30)
C’est la nuit, dehors et dans son cœur. Judas ne voit plus clair : Satan est entré en lui. Après avoir évalué la possibilité de le livrer, il passe à l’action, presqu’encouragé par Jésus. Il commet une grave erreur et il s’en veut. Il ne peut pas se pardonner cette erreur. Il croit que sa vie est finie. Cela n’arrive-t-il pas à plusieurs d’entre nous, à un moment ou un autre de sa vie? Ne nous est-il pas déjà arrivé de commettre de graves erreurs que nous avons du mal à nous pardonner?
Judas, qui a été témoin de nombreux miracles, qui a vu le Seigneur comblé de joie par la déclaration de Pierre : « Tu es le messie, le Fils du Dieu Vivant! » semble avoir oublié que le Christ a le pouvoir de pardonner les péchés. Surtout ceux qui lancent l’accomplissement de l’Homme 2.0, libéré de la mort et du péché! C’est la nuit en son cœur. Il s’en veut d’avoir livré à la mort le Messie que tout le monde attendait. Le problème semble insurmontable. Il sera pour toujours celui qui a fait mourir le Messie. La douleur est trop grande.
Judas, celui qui a livré Jésus, voit qu’on l’a condamné. Alors il regrette ce qu’il a fait et il va rendre les 30 pièces d’argent aux chefs des prêtres et aux anciens. Il leur dit : « J’ai péché, j’ai livré un innocent à la mort. » Ils lui répondent : « Cela nous est égal. C’est ton affaire! » Judas jette l’argent dans le temple et il part. Ensuite, il va se pendre. (Mt 27, 3-5)
Croire au pardon et à l’amour du Seigneur
« Le suicide est une solution permanente à un problème temporaire ». Judas aurait pu se répéter cette citation populaire. Il a perdu foi en celui pour qui il avait tout laissé derrière. Le message est important. Satan peut entrer en nous au moment où nous nous en attendons le moins. Judas venait de partager le pain à la table du Seigneur. Il a reçu le pain des mains mêmes de Dieu en chair et en os, et cela ne l’a pas empêché d’être attaqué par le père du Mensonge. La trahison de Judas nous concerne tous et ce n’est pas une question qu’il faille occulter. « Même si je dois mourir avec toi, je ne dirai jamais que je ne te connais pas! » Et tous les disciples dirent la même chose ».
Nous sommes de ces disciples qui disons la même chose, bien que nous nous gardions une petite gêne de le déclarer avec autant d’assurance que Pierre. S’il nous arrivait, un jour, de renier notre amour pour le Seigneur, si pour sauver notre peau, nous disions que nous ne sommes pas chrétiens, nous savons qu’Il nous le pardonnera si nous le lui demandons. Or, Judas a pleuré amèrement, possiblement davantage que Pierre le fit. Il a cessé de croire en l’amour de Jésus et de son Père. C’est la nuit en son cœur (Jn 13, 30). Il ne peut pas croire que Dieu pourrait lui pardonner une telle trahison. Il pense que lui non plus, il ne pourra jamais se pardonner cette grave erreur et il se suicide. Ne croyait-il pas les paroles que son maître venait de prononcer, à l’effet qu’il reviendrait de la mort?
L’Exultet proclame : « Bienheureuse faute de l’homme, qui valut au monde en détresse le seul Sauveur! » Les personnes qui se suicident ont vu noir pendant un trop long moment. Dans leur détresse, ils n’ont pas eu la chance de croiser le regard miséricordieux de Christ. Ne soyons pas trop rapides à les condamner. Ayons sur eux ce regard qui sauve, les yeux de l’Amour.
Les citations bibliques sont tirées de:
ALLIANCE BIBLIQUE UNIVERSELLE. La Bible « Amis pour toujours » – Édition avec les livres deutérocanoniques. Société biblique canadienne, 2012