Chaque 15 octobre, l’Église nous invite à nous arrêter pour contempler la vie lumineuse de Sainte Thérèse d’Avila. Femme de feu, d’intelligence et de prière, elle est à la fois mystique, réformatrice, fondatrice et docteur de l’Église. À travers son exemple, nous découvrons que la perfection chrétienne n’est pas réservée à une élite spirituelle, mais offerte à quiconque accepte de se laisser conduire, humblement et patiemment, par le Christ. Son témoignage reste profondément actuel pour tous ceux qui aspirent à une vie intérieure vivante, enracinée dans l’amour et nourrie par la prière.
Une vie transformée par la rencontre avec Dieu
Née en 1515 dans une famille noble d’Avila, Thérèse vit une jeunesse marquée par une grande piété mais aussi par des distractions mondaines et la lecture de romans de chevalerie. À travers ses propres failles et luttes intérieures, elle comprend peu à peu que seule l’intimité avec Dieu peut satisfaire son cœur. Elle entre au couvent de l’Incarnation, mais sa vie religieuse commence dans la tiédeur, jusqu’à ce qu’une grave maladie la plonge dans une longue période d’immobilité et de réflexion. Ce fut là, dans la faiblesse et l’épreuve, que Dieu commença son œuvre de transformation.
Thérèse découvre alors la prière intérieure, qu’elle définit comme une « amitié intime, un entretien fréquent seul à seul avec Celui dont nous nous savons aimés ». Cette oraison devient pour elle un chemin de liberté et de feu. Dès 1558, elle entre dans la seconde grande période de sa vie : celle des grâces mystiques et des fondations. Son cœur brûle désormais d’un désir unique : plaire à Dieu et conduire d’autres âmes à cette intimité avec Lui.
Une réforme née du feu de l’amour
C’est à la suite d’une vision effrayante de l’enfer, que Thérèse reçoit un appel plus pressant à la sainteté. Elle comprend alors qu’il ne s’agit pas seulement de sa propre sanctification, mais aussi de celle de beaucoup d’autres âmes. Cette expérience déclenche en elle un zèle apostolique irrésistible. Le Carmel, qu’elle jugeait devenu trop relâché, doit retrouver sa ferveur première.
En 1562, elle fonde à Avila le monastère Saint-Joseph, première maison de la réforme, marquée par la pauvreté radicale, la clôture rigoureuse et une vie de prière intense. Cette réforme visait non pas une performance ascétique, mais un cœur tout donné, totalement offert à Dieu. Thérèse désirait des communautés petites, joyeuses, fraternelles, vivant simplement sous le regard de Dieu.
Appuyée par des supérieurs éclairés, elle obtient que ses monastères soient placés sous l’autorité des évêques, pour mieux garantir la fidélité à la règle primitive. Très vite, cette réforme s’étend non seulement aux moniales, mais aussi aux hommes : avec l’aide de saint Jean de la Croix, elle fonde le premier couvent des Carmes Déchaussés à Duruelo (Espagne), en 1568.
Une fondatrice audacieuse et persévérante
Thérèse n’est pas seulement une mystique absorbée dans la contemplation. Elle est aussi une femme de terrain, persévérante, habile, pleine de bon sens. Dès 1567, malgré sa santé fragile, elle sillonne les routes d’Espagne pour fonder de nouveaux monastères. Elle le fait sans richesse ni protection politique, mais avec une foi inébranlable. On la voit traverser la Castille et l’Andalousie, voyager dans de lourdes charrettes avec ses compagnes, loger dans des auberges rudimentaires, négocier avec des magistrats ou des évêques parfois hostiles… Rien ne l’arrête.
En quelques années, elle fonde plus d’une dizaine de monastères, rassemblant autour d’elle une nouvelle génération de carmélites et de carmes désireux de vivre l’Évangile dans toute sa radicalité. Son dernier couvent est fondé à Burgos en 1582, l’année même de sa mort. Elle laisse derrière elle un réseau vivant de communautés priantes, joyeuses et missionnaires.
Une écriture vivante, une prière incarnée
Les écrits de Sainte Thérèse ne sont pas le fruit d’une spéculation théologique, mais le témoignage direct d’une vie transfigurée par l’amour de Dieu. Elle écrit comme elle parle : avec simplicité, chaleur, humour parfois, mais aussi avec une précision remarquable dans l’analyse de l’âme. Dans Le Château intérieur, elle décrit les étapes de la vie spirituelle comme les différentes pièces d’un palais, où l’âme est appelée à progresser jusqu’à la salle du Roi.
Son style imagé, ses comparaisons tirées de la vie courante ou des romans de chevalerie qu’elle lisait dans sa jeunesse, rendent ses écrits étonnamment accessibles. Même les âmes simples peuvent s’y reconnaître et en tirer profit.
Quatre manières d’arroser un jardin
Dans son Livre de la vie (chapitre XI), Thérèse explique par exemple qu’il y a quatre degrés d’oraison, semblables à des manières d’arroser son jardin.
- La première manière d’arroser le jardin représente l’oraison de méditation. Elle nécessite un effort considérable, comparable à celui d’une personne qui doit tirer l’eau d’un puits à force de bras pour arroser. Cela caractérise le début de la vie d’oraison, où l’âme doit « travailler avec l’entendement » afin de produire des considérations pieuses.
- La deuxième manière d’arroser correspond à l’oraison de quiétude. Dans cet état, l’âme « touche au surnaturel » et l’effort est allégé. Cet arrosage se fait comme si le jardinier utilisait une noria (roue à godets) ou des godets mis en mouvement au moyen d’une manivelle.
- La troisième manière d’arroser symbolise l’oraison du sommeil des puissances. C’est lorsque l’eau est amenée par l’eau courante d’une rivière ou d’un ruisseau. À ce stade, les puissances de l’âme ne sont pas totalement suspendues, mais elles ne comprennent plus « comment elles opèrent ».
- La quatrième manière d’arroser représente l’oraison d’union. À ce degré suprême, Dieu agit pleinement dans l’âme. L’âme n’a plus aucune peine, comme un jardinier qui voit son jardin arrosé par « une pluie abondante » envoyée par le ciel.
Un chemin pour nous aujourd’hui
À travers Sainte Thérèse d’Avila, Dieu rappelle à son Église la beauté de la vie intérieure. Son appel à une prière fidèle, à une amitié profonde avec le Christ, reste d’une brûlante actualité. Elle ne demande pas la perfection immédiate, mais l’humilité du cœur, la persévérance dans la prière, et la confiance en Celui qui nous aime le premier.
Puissions-nous, à sa suite, nous laisser attirer par le Seigneur, apprendre à l’aimer dans le silence de l’oraison, et faire de notre vie un lieu de rencontre avec Lui. Comme elle le disait si bien : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie, tout passe… Dieu seul suffit. »